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Chroniques
Falstaff
opéra de Giuseppe Verdi
Notre seconde soirée au Garsington Opera est placée dans le rire et la farce, de même que dans la poésie d’un clair de lune qui donne rendez-vous à des créatures faussement chimériques. Jouer Falstaff sur le sol britannique est forcément honorer la drôlerie subtile et souvent irrévérencieuse de Shakespeare et de ses Joyeuses commères de Windsor (The merry wives of Windsor, ca.1600). Le vieux chevalier grotesque, présent dans plusieurs pièces du poète de la Renaissance élisabéthaine, a séduit Giuseppe Verdi qui, au crépuscule de la vie, confiait à son confrère Arrigo Boito le façonnage d’un livret pour son ultime opéra, comédie qui invite une sereine prise de congé.
La scénographie de Giles Cadle déplace habilement l’action à la fin du XIXe siècle, peut-être au moment de la première de l’œuvre. Les aventures du barbon narcissique et déluré, volontiers trousseur de dot, ont lieu dans les dernières années du très long règne de Victoria. À travers la localisation précise des moments de l’intrigue par des décors qu’on change rapidement, tout comme par les costumes vraiment typiques de l’époque, cette actualisation suspendue à mi-hauteur est une réussite incontestable qui souligne adroitement les situations avec un humour clairement british. Les mimiques des femmes le disputent à des gags jamais appuyés qui pimente l’argument jusqu’à faire rendre hilare tout le théâtre – à l’opéra, d’habitude on rit peu, c’est tout dire… Les ensembles sont réglés avec un imparable sens du rythme par Tim Claydon. Ils intègrent parfaitement la mise en scène enlevée de Bruno Ravella qui n’attire que des éloges. Là encore, l’Italien brille par la direction d’acteurs sans cesse inventive, comme c’était le cas dans Gianni Schicchi, deux ans plus tôt [lire notre chronique du 2 octobre 2016], qui caractérise avec une précision épatante chaque personnage. Aucun détail n’est laissé au hasard. Même le passé du héros est évoqué par un portrait d’autrefois où découvrir le délicieux pochtron d’aujourd’hui tout fringuant de jeunesse et, sinon vraiment distingué, du moins digne. Le château de Windsor (alla Turner)n’est jamais loin, ni la gare de la célèbre localité où nos mégères féministes font leur foin dans l’agitation des temps modernes, sans oublier sa forêt domestique magnifiquement éclairée par Malcolm Rippeth. Ici, à Wormsley Park, voire Falstaff et sa mascarade finale dans ce théâtre transparent est une expérience comparable à un Songe d’une nuit d’été à Bussang, ouvrant l’arrière-scène sur la forêt vosgienne – quel rêve !
À la tête du Philharmonia Orchestra, impeccable, Richard Farnes colle au plus près de la frénésie de cette production géniale. Cependant, il apporte à la finesse de ce Verdi tardif tout le soin qui lui est dû. La verdeur de ton est bien là, comme la tendresse amusée du maître pour ses créatures. Un esprit pinailleur lui reprocherait sans doute de ne pas assez révéler les audaces de la partition : il semble que le chef place ailleurs sa mission et que ce soit bien ainsi. La prestation vaillante du Garsington Opera Chorus est un atout supplémentaire à cette belle soirée.
Le cast fait le reste, avec panache ! Henry Waddington s’y entend dans la composition d’un vieillard libidineux qui se croit irrésistible et, par son comportement, place d’emblée le public du côté des femmes, puisque le spectacle montre une lutte des sexes. Bouffon attendrissant, son Sir John évite la caricature, ce qui favorise l’émotion. Le bon niveau de ses partenaires et le plaisir palpable qu’ils ont tous à donner l’œuvre font passer un moment savoureux. Mary Dunleavy est une Alice pétillante et une maîtresse-femme d’une vive autorité. Son Lord est puissamment chanté par Richard Burkhard, peu nuancé mais tellement drôle dans la furie jalouse, assez rapidement effrayante. Le mezzo Victoria Simmonds cabotine ce qu’il faut en Meg Page malicieuse, portée par une facilité vocale rafraichissante. La Quickly d’Yvonne Howard conspire avec gourmandise, d’un timbre sombre à souhait. Avec une louable maîtrise technique, le soprano Soraya Mafi livre une Nannetta agile qu’on trouve pourtant trop timide. Fenton, son amoureux, dispose du ténor clair d’Oliver Johnston, au chant très stylé. Bravo aux truculents Pistola, Bardolfo et Caius irrésistibles de Nicholas Crawley, Adrian Thompson et Colin Judson !
HK