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Chroniques
Faust
opéra de Charles Gounod
Alors qu’une fièvre faustienne a tourné la tête des peintres européens, des musiciens et des hommes de théâtres, que certaines adresses parisiennes présentent même des parodies du mythe qui n’appartient plus à Goethe – de fait, il ne l’avait qu’emprunté –, après La Damnation de Faust qui, rappelons-le, est une légende dramatique que Berlioz ne destine pas à la scène, Gounod, treize ans plus tard, fait créer son Faust (1859). Les librettistes Barbier et Carré se sont ingéniés à en faire un véritable opéra, au prix de certaines condensations et d’autres ressorts qui, aujourd’hui, laissent parfois naître à nos lèvres un sourire (bienveillant, mais sourire tout de même).
Invitons ici Emmanuel Reibel à contredire cette impression :
« Devenu objet de consommation courante pour un public toujours friand de pièces à grand spectacle ou de fantaisies théâtrales divertissantes, le mythe de l’alchimiste face au diable pouvait-il faire l’objet d’un opéra sérieux ? Si une image de légèreté s’attache au Faustde Gounod, c’est parce qu’on l’associe instinctivement à certaines pages comme la valse de Siebel ou l’air des bijoux, qui sont devenues très populaires. En réalité, l’œuvre de Gounod est beaucoup plus fidèle à Goethe qu’on le pense généralement, surtout si on la compare à ce contexte parisien où fleurissent les adaptations théâtrales les plus fantaisistes ; et il ne se serait pas imposé durablement comme l’opéra le plus joué au monde s’il n’avait comporté que des airs à succès un peu faciles [ – sur la popularité qui révèlerait la qualité de l’ouvrage : voilà une idée largement discutable, d’autant qu’elle induit une confiance dans le goût du public dont l’expérience qu’on en fait quotidiennement contredit aisément la croyance naïve, me permettrai-je d’objecter].Gounod était authentiquement imprégné du drame de Goethe, et son but n’était nullement de surfer sur la vague d’un sujet à la mode » (in Faust, la musique au défi du mythe, Fayard).
Il y a dix-huit ans, Nicolas Joel, présent de longue date au Théâtre antique, signait un Faust aux Chorégies. Il revisite cette réalisation, alors habitée de symboles et de métaphores, qu’il semble aujourd’hui vouloir plus « classique ». Le résultat gagne en sobriété mais perd en impact, se lovant douillettement dans ce qu’il contenait de plus conventionnel. Aussi se réjouit-on d’un plateau si peu encombré qu’on y circule aisément, tout en déplorant que rien ne motive en profondeur cette circulation. Conçue autour du grand orgue de Narbonne, la scénographie s’épuise vite. Laissant libre cours aux artistes de convoquer ce qu’ils ont acquis de métier (ce qui est louable en soi si l’on compose l’ensemble par une direction précise), la mise en scène fléchit plus tôt encore.
Étrangement, la pâleur de ce Faust ne dérange pas, se laissant gentiment abstraire au profit de l’écoute qui trouve plaisir à cette soirée. Car, pour n’être pas irréprochable, le plateau vocal est le triomphateur de la représentation. L’on y retrouve Nicolas Testé en un Wagner avantageusement robuste, fiable et présent, qu’on aimerait rencontrer à présent dans des rôles plus conséquents. La Schwerdtlein exaltée de Marie-Nicole Lemieux s’affirme drôle et touchante, à la faveur d’un joyeux numéro de théâtre auquel elle s’adonne avec son charmant diable. Excessivement prudent et accusant un haut-médium peu stable, Jean-François Lapointe, onctueux jusqu’à s’en désincarner, satisfait moins en Valentin. Habituellement confié à un mezzo-soprano, c’est à un ténor que revient ici le rôle de Siebel : l’on saluera le jeune Xavier Mas, nouveau venu devant la Porte Royale ; avec intelligence et sensibilité, il défend l’option par un chant toujours gracieux livré d’un timbre attachant dans une articulation souple. Précieusement exact et clair, Faites lui mes aveux s’avère ainsi finement nuancé. Cuivrant son aigu avec superbe, René Pape donne un Méphistophélès joueur et sensuel qui oublie un peu, dans la joie qu’il met à convoquer certains effets, d’accorder quelque consistance au personnage ; c’est fâcheux, car c’est bien lui, pourtant, qui les fait danser (chanter ?) tous. Vocalement exemplaire, ce Satan-là demeure trop superficiel.
Quant à lui, le couple convainc.
Colorant plus discrètement sa voix qu’à son habitude, Inva Mula affirme un choix interprétatif bien inspiré qui livre une ballade du Roi de Thulé d’une rare subtilité de nuance. Elle est une Marguerite à la fois délicatement émise et généreusement projetée dont la présence magnétique suspend des milliers de spectateurs à ses lèvres, conduisant l’air des bijoux dans une fraîcheur frémissante, soignant des aigus d’une délicatesse rare, tout en souplesse. Si l’on a pu lire çà et là que Roberto Alagna ne s’était guère montré à la hauteur du rôle-titre à la première, samedi, la santé lui est incontestablement revenue ce mardi ! L’on ne regrettera qu’un jeu qui s’oublie parfois en des pirouettes inutiles, ainsi que des attaques qui prennent disgracieusement l’ascenseur pour atteindre la note. Son Faust bénéficie de l’élégante diction qu’on connaît au ténor qui, bien que n’étant pas toujours au zénith, offre cette fois une prestation saine et convainquante. Vaillant pour Salut, ô mon dernier matin, sagement dosé dans À moi les plaisirs, offrant un « Je t’aime » littéralement lumineux, son Salut demeure chaste et pure, à la conduite un brin décousue, laisse éclore « où se devine la présence » d’une exquise suavité.
Autre grand habitué des Chorégies, Michel Plasson (qui l’y avait dirigé en 1990) mène un Faust noir dès l’abord, avec un Prélude latent, presque rampant. À la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, il cisèle son exécution que chaque trait dessine soigneusement dans une saine clarté. On aura remarqué la belle intervention du premier violon solo dans Salut demeure chaste et pure, ainsi que l’excellence des cuivres, notamment dans le premier duo Marguerite-Faust. Conduits par Patrick-Marie Aubert, les artistes des Chœurs de l’Opéra de Toulon, de l’Opéra-Théâtre d’Avignon, de l’Opéra de Nice et du Capitole de Toulouse s’avèrent autant vaillants que nuancés.
BB