Chroniques

par françois cavaillès

Faust
opéra de Charles Gounod

Opéra royal de Wallonie, Liège
- 23 janvier 2019
À Liège, "Faust" de Gounod dans la mise en scène de Stefano Poda
© opéra royal de wallonie

Entrée à pas feutrés dans le monumental Faust de Charles Gounod, grand opéra habitant les scènes de France et de Navarre depuis cent cinquante ans, comme son prélude servi avec générosité et délicatesse par l'Orchestre de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège. Au lever de rideau, dans une belle obscurité tenace et l'ambiance angoissante ménagée par la formation que dirige Patrick Davin [lire nos chroniques du 7 février 2004, du 14 novembre 2006, du 5 juillet 2008, du 27 novembre 2009, du 15 avril 2011, du 20 septembre 2012, du 17 mai 2013 et du 18 novembre 2018], un gigantesque monstre occupe la majeure partie de la scène. Aux yeux du public, la créature solide se dirait cylindre ou puits mais, à mesure qu'elle tourne et révèle sous son inclinaison, dans un éclat blanc, un imposant monticule désordonné de vieux bouquins, une voix s'aventure, cadencée par la poésie des premiers vers. Faust, d'abord invisible, puis gisant à terre, entame ainsi son initiation au monde céleste.

Fidèle à l'imagination première de Goethe, le héros romantique, cette fois habillé tel un Quasimodo moderne, évolue dans l'univers de Stefano Poda, artiste chargé de la mise en scène au sens le plus large du terme, pour une expérience graphique fantastique [lire notre entretien, ainsi que nos chroniques d’Ariodante et de Lucia di Lammermoor]. À un rythme frénétique, bien dans l'urgence du pari faustien, le jeu des personnages est porté à un fabuleux niveau esthétique, en relation avec les rotations de l'énorme et gracieuse structure en forme d'anneau, en accord avec une philosophie cohérente. Tous réglés à la perfection, les mouvements, les alignements ainsi que l'éclat des matières (géométriques, lumineuses ou textiles), rendent agréable chaque instant.

Musicalement, les contrastes sont admirables dès le premier acte, ainsi entre les changements de mode véloces et la vaillance énervée, puis mélodieuse et emportée d’À moi les plaisirs par l'endurant Marc Laho, Faust bien vivant, tantôt amusé, tantôt noble et galant [lire nos chroniques de Comala, La favorite, Guillaume Tell et Jérusalem]. Grâce au Chœur maison, à nouveau très bien préparés par Pierre Iodice, se manifeste toute la douceur pastorale (Aux champs l'aurore nous rappelle) contre laquelle se dresse vite le mal nécessaire. Tout élégance et noir vêtu, jusqu'aux épaisses lunettes de soleil, Méphistophélès a la voix profonde et beurrée à souhait du baryton-basse Ildebrando d'Arcangelo [lire nos chroniques d’Anna Bolena, Messa da requiem, Le nozze di Figaro et Carmen].

Sous un éclairage grandiose survient une nouvelle et lente révolution du grand cercle qui s'abaisse jusqu’à flotter au ras du sol, tandis que les trois murs noirs s'envolent, comme par magie, pour l'apparition de Marguerite. La quête du charme paraît aussi crédible que celle de la vérité pour Faust, homme simple vite bousculé par une société chic et rutilante au deuxième acte. Dans cet autre tableau spectaculaire, Valentin se distingue par la voix la plus puissante, harmonieuse et séductrice de la soirée. Timbre de bronze, long manteau noir, tout sied au baryton Lionel Lhote, applaudi dans ce rôle en Avignon [lire notre chronique du 9 juin 2017], qui taille en force un beau trait épuré lors de la cavatine Avant de quitter ces lieux, fort applaudie, et impressionne tout du long, jusqu'au rugissement de lion poussé à l'article de la mort.

Outre le lyrisme vif et le joli timbre du mezzo Na'ama Goldman en Siébel, et à travers tant de surprenantes trouvailles visuelles de la mise en scène – masques de taureau, figurants enfants, sublime théâtre d'or intime, pudique, d'amour chaste pour la fin, etc. [lire notre chronique du DVD] –, Anne-Catherine Gillet réussit une nouvelle fois un grand rôle du répertoire français en lui apportant beaucoup de sensibilité et de vivacité, puis de détresse, comme tirés du fond du coeur tendre et aimant de l'héroïne [lire nos chroniques de L'Étoile, Die Zauberflöte, Don Giovanni, Le domino noir et Pelléas et Mélisande]. Tressaillant d'émotion pour la ballade de Thulé, puis davantage actrice, le soprano se mire dans le public avec naturel pour l'air des bijoux et prête à Marguerite beauté, aisance et fraîcheur, sans mièvrerie. À ses côtés, le mezzo Angélique Noldus offre en Dame Marthe un remarquable chant et beaucoup d’attrait [lire nos chroniques d’Ariadne auf Naxos, Faust, Carmen et Les contes d’Hoffmann].

Parmi les nombreuses images marquantes de la soirée, retenons la terrifiante tête diabolique, logée au coeur d'une pyramide humaine. Elle résulte du formidable ballet de la nuit de Walpurgis, avec sa vingtaine de danseurs peints en noir, grouillant comme des fourmis géantes, ou superbes lorsque prise dans un grand vol d'oiseaux. Les signes de vie abondent dans cette œuvre flamboyante et encore chargée de mystère.

FC