Chroniques

par françois cavaillès

Faust
opéra de Charles Gounod

Opéra de Limoges, Grand-Théâtre
- 19 mars 2023
Claude Brumachon et Benjamin Lamarche signent FAUST (Gounod) à Limoges
© opéra de limoges – steve barek

À l’amorce du soixantième printemps de l’Opéra de Limoges, le mythe faustien revient en grande forme lyrique. Parmi la bonne soixantaine d’opéras inspirés du roman de Goethe, revoici le plus fameux : l’ouvrage de Charles Gounod créé à Paris en 1859, peut-être millionnaire à travers le monde depuis, bien réactivé dans une nouvelle production.

Dans un décor nu dont le sol, jonché de manuscrits, reçoit la chute de quelques feuilles de papier, on perçoit les accents lents et peinés du prélude. Ils émanent de l’Orchestre de l’Opéra de Limoges, sous la battue de son nouveau chef principal, Pavel Baleff, mettant autant de précision que d’énergie, près de trois heures durant, dans les airs, récitatifs et valses pour un plaisir changeant.

Avant même l’entrée du démon, moteur de l’intrigue, le public a remarqué que les rôles sont doublés de manière originale, de sorte que dans chaque binôme, souvent séparés de quelques pas seulement, l’un chante, l’autre danse. Il ne s’agit pas d’un mince exploit de la mise en scène signée par les chorégraphes Claude Brumachon et Benjamin Lamarche, et les performances expressives, athlétiques et appréciables appellent sans doute les louanges. Au respect littéral du livret est préférée l’abstraction et l’esthétique des décors (dans des tons unis), jusqu’au symbolisme épuré, plus significatif à l’orée de l’Acte IV. La scénographie de Fabien Teigné [lire nos chroniques de Fidelio, Cenerentola, Royal Palace, La damnation de Faust et L’Odyssée] est plus abondante qu’irréaliste, par exemple en inclinant l’imagination, comme au cinéma récemment, à « dénouer le drame à travers le prisme d’un miroir, figure désormais essentielle du mythe de Faust » (d’après l’analyse d’Alexandre Poncet). Elle bénéficie tantôt d’un coup de génie, telle la très courte inversion des ombres et lumières dans le chaos du V éclairé par Ludovic Pannetier, de même que les costumes par Hervé Poeydomenge, plutôt passe-partout dans l’ensemble, débordent de créativité pour inventer les bêtes touffues et affolantes de la nuit de Walpurgis.

Volontaire, langoureux avec la force d’une juste confiance en son charme et son professionnalisme, donc de plus en plus émouvant en dépit d’une certaine raideur, le ténor Julien Dran (Faust) réussit sa prise de rôle et emportant une ovation bien méritée pour la cavatine du III. La ligne de chant est bien tenue et la fin superbe, beau contre-ut inclus. Les autres solistes se confirment en tant que valeurs sûres. Ainsi, méphistophélique à souhait, le baryton-basse Nicolas Cavallier dispose d’une voix corsée, frénétique dans la ronde du veau d’or ou sépulcrale pour signifier, toujours au bon moment, ô combien « mieux vaut régner en enfer que de servir au ciel » (John Milton, Paradise lost). Le soprano Gabrielle Philiponet est à son meilleur en Marguerite. Son chant bouleverse de justesse dans la ballade du roi de Thulé, puis étincelle dans l’air des bijoux. Sa scène de folie, peu avant les effusions de la prière et la possible rédemption finale, est déchirante, et son grand talent est aussi bien mis au service du collectif, ce qui transparaît très clairement dans les ensembles jusqu’à s’imposer comme l’une de nos Gretchen préférées ! Le baryton Anas Seguin brille d’entrée de jeu, Valentin capiteux et viril comme il se doit à la kermesse, vibrant avec bravoure à l’agonie finale. Les mezzo-soprani Eleonore Pancrazi (fraîche Siébel) et Marie-Ange Todorovitch (Dame Marthe vive et colorée), ainsi que le baryton-basse Thibault de Damas (Wagner) tiennent ici mieux que des rôles de complément.

Enfin, le Chœur de l’Opéra de Limoges, uni et entraînant, sait se faire ange, dans la dimension faustienne élégiaque chère à Beethoven, ou démon fantastique, voire terrifique dans les méconnaissables monts du Harz. Cet espace rouge est réservé au sabbat, mais la danse n’a presque jamais cessé dans ce spectacle, au point d’emmener peut-être Faust sur un autre pas, vers une position encore meilleure au panthéon opératique... en suivant, par exemple, l’étoile d’Elisabetta Gareri qui parvient à réinventer Marguerite pour tout en dire autrement.

FC