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Fausto Romitelli, hommage et création
En ce dernier week-end d’août, Royaumont ouvre sa cinquante-sixième saison musicale par deux jours de création, tournés tant vers le passé proche que vers aujourd’hui et demain. On saluera l’extrême cohérence du programme de ces deux jours, présentant des œuvres spectrales ou héritières du mouvement, rendant hommage à un compositeur qui vint à Paris après avoir entendu Saturne d’Hugues Dufourt, et devait marquer le lieu lors de sa venue en 2003. Et comme Fausto Romitelli souhaitait écrire une grande pièce pour Les Percussions de Strasbourg, projet que la maladie empêcha de mener à terme, il est naturel que la formation soit le principal invité de ces concerts par lesquels ses amis musiciens entendent lui rendre hommage. Ainsi donc, les thèmes se croisent, qu’il s’agisse de musique française ou d’espaces acoustiques, puisque la vidéo et l’électroacoustique sont de la fête.
Pour commencer, le Réfectoire des moines accueille des œuvres plutôt rares, comme Sulphur pulse composé en 2003 pour six percussions par l’Islandais Atli Ingólfsson, élève de Sigurbjörnsson, Donatoni et Grisey dont il fut l’assistant, et à la mémoire duquel il a dédié cette pièce. Lors d’une visite en Islande, le musicien français s’était laissé fasciner par le son envahissant du plus puissant puits de vapeur de centrales géothermiques (55 MW environ) au point de demander à Ingólfsson de l’enregistrer.La chose fut faite il y a quatre ans, et c’est à partir d’une réflexion sur les différents corps constituants de ce terrible son que l’œuvre fut imaginée. On rencontre donc dans cette page des préoccupations de rythme et de timbre dont la gestion construit une gigantesque activité à l’inscrire naturellement dans la rhétorique de son temps. C’est avec plaisir que nous retrouvions le bel esprit de la musique de Gérard Pesson et sa Gigue de 2002, empruntant un accord à Fausto Romitelli. Pas si drôle qu’on voudrait bien se laisser aller à le croire, l’œuvre mène peu à peu les instrumentistes, par l’utilisation particulière d’objets inattendus, à la danse.
Cet hiver, nous assistions à la création de Buzzing & Zapping d’Alexandros Markeas où déjà l’image intervenait [lire notre chronique du 13 janvier 2005] ; ce soir, Time Ballet pour six percussionnistes et dispositif vidéo connaît sa première. Jouant sur la contradiction où la surenchère, la pièce parvient à annihiler par l’image le rapport immédiatement perçu du geste au son, de sorte que, sur la durée, seule la musique reste… et cependant, le simple chroniqueur que je suis demeure inchangé.
Juste avant, Mario Caroli crée Un souffle pour flûte et percussions, hommage à Jolivet à travers le souvenir de sa Suite en concert, écrit il y a deux ans par Bruno Mantovani. Comme toujours, l’écriture est brillante, notamment pour la partie de flûte, le traitement des percussions, pour fort attendu qu’il soit, s’avérant efficace.
Dans les Cuisines des moines, dimanche après-midi, les excellents Neue Vocalsolisten, de toute la poésie de leur démarche et l’autorité de leurs travail et talent, donnent…car le pensé et l’être sont une même chose… de Michaël Jarrell dont l’exécution délicate requiert une écoute sans cesse en éveil, et la fascinante « instrumentalisation »de deux barytons se mirant chacun dans la voix de l’autre qu’offre Narcisse de Tiziano Manca. En 2001, Georges Aperghis achevait Petrrohl pour chœur mixte, alors aux antipodes de son récent Hamlet-Machine, oratorio d’après Heiner Müller qui recouvrait les habitus d’une facture plus ancienne – celle de Liebestod, par exemple –, plus proche des Récitations ou de Sextuor ; une nouvelle fois, le public est suspendu aux phonèmes, au delà de tout sens, d’une page qui se penche à sa manière sur l’œuvre d’Adolf Woelfli, « premier artiste schizophrène à la créativité impressionnante ». Avec le recul, on pourra lire Petrrohl comme l’annonce d’Avis de Tempête…
De la jeune compositrice tadjike Farangis Nurulla-Khoja, qui fut étudiante à Royaumont en 1998 et 1999, nous entendons a thorn ewpands to a rose écrit en 2004 et donné ici en création française ; suite d’appels dans l’aigu, dans un élan lyrique incantatoire autant qu’impératif, puis métacanon triturant timbres et couleurs, tout en jouant sur la qualité des émissions vocales, cette « méditation active » fait succinctement intervenir des éléments de percussion, avant qu’un léger tintement (petite cymbale) signe son achèvement. Le souffle des ancêtres navajo traverse ensuite Écoute de Misato Mochizuki, réalisant par l’emplacement particulier des solistes un espace sonore nouveau. Peu à peu, en frottant un briquet ou en déclenchant des flashs, chacun s’approche de la caisse qui retentit régulièrement, jusqu’à rejoindre le centre et y commencer le chant par un souffle. Dans un jeu sur les trilles, la voix « vibrée »mais aussi parlée, chuchotée, murmurée, et la vocalité voyelle non rattachée au poème, s’impose la cérémonie, et après divers événements, le retour du battement initial s’associe diverses onomatopées mezza voce, visitées par quelques figuralismes, pour en clore le rite implicite.
Enfin, le rendez-vous de dimanche soir est un premier hommage à Romitelli qui se prolongera dans une quinzaine de jours par la création d’œuvres écrites par deux de ses élèves, le Canadien Julien Bilodeau et le Français Raphaël Cendo. Tempus ex Machina de Gérard Grisey introduit le concert, grâce à la lecture inspirée des Percussions de Strasbourg qui poursuivent avec Chorus où Romitelli imaginait, en 2002, des hybridations savantes par l’emploi d’instruments-jouets (kazoo, harmonicas à bouche, etc.), entre autres. Rheumics de Philippe Leroux (nouvelle version) s’enchaîne à cette profusion, utilisant un instrumentarium assaisonné d’objets inhabituels, comme s’il s’agissait d’une chose tout à fait établie, ce qui salutairement évite l’anecdote. La brillante écriture pour percussion de François Paris révèle une virtuosité pudique avec Senza, opus d’une grande intensité dontle passage central sur les peaux, plus intime, porte un regard recueilli vers l’absence de celui avec lequel le compositeur confrontait toujours ses projets musicaux. Oscar Bianchi est né à Milan en 1975 ; il fut élève d’Adriana Guarnieri, de Sandro Gorli et d’Umberto Rotondi au conservatoire Verdi, avant d’approfondir son art à Darmstadt, à l’Ircam, à Stockholm et à Royaumont où il étudiera auprès de Fausto Romitelli qu’il évoque en ces termes :
« Le plus important pour ma génération, c’est le courage d’une démarche en lutte contre l’embrigadement des concepts esthétiques. L’intolérance de Romitelli à la notion de musique contemporaineinvitait les jeunes (dont je fais partie, ayant été son élève et ami) à ne renoncer à rien de ce qui fait la richesse de leur personnalité musicale. C’est stimulant, un homme qui incite à travailler la musique écrite en dehors de tout formalisme, englobant aussi bien les expériences musicales extra-musique savante ».
La création d’Aqba, nel soffio tuo dolce offre une réflexion sur le souffle et le silence. Ces dernières années, tout ce qui s’est fait à L’Itinéraire, dans la mutation du mouvement spectral, le fut avec Romitelli – « sa mort est venue interrompre une trajectoire logique avec la musique spectrale » – auquel Michael Levinas entendait confier la direction de l’ensemble. Professeur de composition pendant l’actuelle session Voix Nouvelles de la Fondation Royaumont, Levinas signe avec Transir un hommage touchant qui se pourrait peut-être lire comme une interprétation personnelle de la musique de l’Italien, vue soudain comme interférant le son, le bruit et l’angoisse de la création et de la vie, à travers une écriture obsessionnelle, enfermée dans ses propres cycles qui se régénèrent de l’intérieur. À l’instar des grands portraitistes, Levinas se révèle une fois de plus, dans un phénomène proliférant qui ralentit, se suspend, se redresse, puis accélère à nouveau, se sclérosant dans l’inertie d’agglomérats inquiets.
BB