Chroniques

par nicolas grienenberger

Felicity Lott et le Quatuor Schumann
Lieder de Gustav Mahler et Richard Wagner

Auditorium du Musée d'Orsay, Paris
- 25 septembre 2008
Dame Felicity Lott en Liederabend à l'Auditorium du Musée d'Orsay (Paris)
© trevor leighton

Loin du tapage médiatique et des lumières aveuglantes, un concert ravit un public plein de ferveur et d'amour : celui que Felicity Lott donne à l'Auditorium du Musée d'Orsay, dans le cadre de la série concoctée par la maison autour de l'art de l'accompagnement. Ici, point de pianiste, mais une formation remarquable, un peu particulière : le Quatuor Schumann, composé d'un violon, d'un alto, d'un violoncelle et… d'un piano ! Proposant les Rückert Lieder de Mahler et, de Wagner, les Wesendonck Lieder et La mort d'Isolde, le programme est tout à la fois étonnant et délicieux.

La mort d'Isolde ?... Voilà qui pourra surprendre, surtout chanté par ce modèle d'intelligence et d'intégrité musicale qu'est Felicity Lott. La grande cantatrice britannique aurait-elle perdu la tête ? Au contraire, dans sa grande lucidité, consciente de la légèreté de ses moyens de soprano lyrique face à l'ampleur dramatique que requiert cette scène lorsqu’elle est interprétée avec l’orchestration traditionnelle, et du risque qu'elle aurait fait prendre à sa voix en l’y forçant, la chanteuse propose cette page dans une réduction instrumentale merveilleusement écrite par Christian Favre, le pianiste du Quatuor Schumann, qui d'ailleurs a effectué le même travail avec les Lieder présentés ce soir.

Le concert s'ouvre par le Quatuor avec piano de Mahler, pièce inachevée et dont n'est connu qu'un seul mouvement, superbe, au demeurant. Les instrumentistes s'y montrent sensibles et engagés, à l'écoute les uns des autres, partenaires autant que complices. Paraît alors l'enchanteresse. Voilà plus de dix ans, elle fut anoblie par la Reine et faite Dame. Dame, voilà bien le terme qu'elle inspire, toute d'élégance, tant physique que vocale. Après plus de trente ans d'une carrière toujours glorieuse, sa voix sonne fraîche et limpide, récompense sans doute de sa légendaire prudence dans le choix de ses répertoires.

En quelques phrases, elle éclaire les Lieder mahlériens d'une lumière neuve, moins sombre et opaque qu'à l'accoutumée. Elle en fait davantage une réflexion juvénile sur les sentiments amoureux, rendant à Liebst du um Schönheit son caractère naïf et charmant. Chacune de ces miniatures est traitée avec simplicité, candeur et sourire, loin des réflexions philosophiques habituelles.

Les Wesendonck Lieder de Wagner n'échappent pas à ce rajeunissement. Tout y est comme traversé par un souffle de vie, un rayon de lumière. On croit découvrir ces mélodies pour la première fois. Dame Felicity leur offre sa joie de vivre et son émerveillement, et c'est sans doute là qu'est la voie de l'interprétation wagnérienne. Le quatuor soutient la voix, la suit, parfois la précède, dans une osmose remarquable de finesse et de sensibilité.

La mort d'Isolde, voilà la pièce à susciter curiosité et crainte. Pourtant, force est de constater un triomphe total : la chanteuse s'empare de cette scène, la fait sienne et la colore sans artifice. Là où d'autres assombriraient leur instrument, elle garde sa finesse et sa hauteur d'émission, plus encore que dans les pages précédentes. Elle se garde bien de tomber dans une ultra-dramatisation qu’elle esquive avec flamme et détermination. La transcription qu'en fit Christian Favre est remarquable en ce qu’elle conserve l'essentiel de l'écriture wagnérienne sans en amenuiser la force. Jouant crânement la carte de l'intimité, en totale communion avec les musiciens, le pianiste offre une Liebestod véritablement chambriste. Le soprano en profite pour montrer comment Wagner pourrait (devrait ?...) être chanté : avec délicatesse et élégance. Bien loin d’éclats de voix tout en force, elle démontre sa science des pianissimi et donne à tous une leçon d'orfèvrerie musicale. En bis, elle offre une vision magnifique de finesse et d'apesanteur de Morgen de Richard Strauss.

NG