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Chroniques
Fidelio
opéra de Ludwig van Beethoven
Sans Fidelio, le festival justice/injustice ne serait pas complet. L’institution lyonnaise a confié au performer et plasticien américain Gary Hill l’appréhension de l’opéra des Lumières. C’est sous la protection des cent trois chants d’Aniara, vaste épopée spatiale écrite par le Suédois Harry Martinson de 1953 à 1956 (disponible dans la version française de Philippe Bouquet et Björn Larsson aux éditions Agone) à laquelle il emprunte quelques ajouts textuels, que l’artiste place sa mise en scène, coulée dans l’univers de la science-fiction.
Autant avouer d’emblée la colère du public. Un chahut plutôt léger ne suffit pas à perturber la reprise de la représentation après l’entracte ; en revanche, l’accueil réservé à cette nouvelle production est manifestement musclé. Si l’ouvrage accuse une seule faiblesse, c’est précisément la longueur de ses dialogues parlés. L’option choisie nécessite une laborieuse « contextualisation » qui ne peut guère être rendue effective que par une surenchère narrative faisant reculer plus encore la part musicale… d’autant que la comédienne Charlotte Ramond est loin de fasciner l’écoute, distillant un dire mou d’assez mièvre ton qui lui vaudra des sifflets. Indéniablement, les quelques adaptations dans le livret d’origine et surtout la surimpression des inévitables cassures de rythme théâtral sont malheureuses.
En revanche – et contrairement au Prigioniero vu ici-même [lire notre chronique de la veille] – le sujet, plutôt que de scandaleusement passer à la trappe, se trouve cette fois dument traité. Emprisonner un indésirable, qu’il soit criminel (notion relative) ou plus clairement tueur, voleur, etc., est bel et bien isoler du reste de la communauté celui dont ses pairs estiment qu’il pourrait lui nuire. De ce point de vue, imaginer un vaisseau carcéral en errance dans l’espace demeure en adéquation avec l’œuvre. Par ailleurs, ce parti-pris occasionne une invention vidéastique de caractère avantageusement graphique du plus bel effet : nous voilà plongés dans des constellations à observer la naissance de connections stellaires sur une immense « toile d’étoiles », pour ainsi dire. Outre de dessiner le voyage spatial, le procédé définit un lieuhumain non fixé mais surtout sa parole, conçue comme une super-intelligence qui communique par messages essentiels, autrement dit l’accès autoproclamé au divin.
Quelques regrets, toutefois : la rupture du niveau de pensée par un figuralisme sottement illustratif lorsque Rocco évoque l’argent comme l’un des alliés du couple amoureux, le naïf entêtement du même procédé à libérer aigles et semeuses sur l’heureux final, plusieurs options « physiques » contraignantes – déplacement de certains rôles sur des roues, appuyant une réductrice volonté de désincarnation ; monstrueux carcan de costume qui, sans suffire à camper un Pizarro qu’on aurait aimé de terreur sans cela, l’entrave considérablement ; enfin l’apparition d’un Florestan en suspension, trait jouant de la surprise avec virtuosité mais manipulant assez piètrement, sur la durée, un élément qui renvoie d’abord à la liberté plutôt qu’à l’entrave (est-ce à revendiquer la liberté à se faire enfermer pour ses idéaux, par exemple ? la lecture reste malaisée, vraiment) –, enfin l’acception exclusivement scénographique du métier de metteur en scène, faisant l’impasse sur la direction d’acteurs.
Si le Chœur de l’Opéra national de Lyon signe une prestation largement honorable, le plateau vocal manque d’unité. Retenons-en la clarté de timbre de Christian Baumgärtel en Jaquino, l’impact somptueusement prégnant et la délicatesse de nuances de Nikolaï Schukoff en Florestan, enfin l’onctuosité caressante du legato de Michaela Kaune, fort belle Leonore. Loin de démériter, la fosse laisse cependant surgir quelques anicroches malencontreuses dans l’interprétation prudemment contenue de Kazushi Ono. Saluons la tendre profondeur des cordes sur le quintette vocal du premier acte, de grande tenue.
BB