Recherche
Chroniques
Fidelio
opéra de Ludwig van Beethoven
Retour sur un « grand classique », avec la première du Fidelio de Rouen, « mis en espace » par Marguerite Borie. Pourquoi des guillemets ? Parce que le terme renvoie plus à une version de concert « organisée » qu’au travail plus poussé de ce soir. Pour ne pas se dérouler dans un décor, l’action est effective, au point qu’on puisse honnêtement parler de représentation. Sur scène, l’orchestre fait figure de rassembleur des vecteurs dramatiques, lieu où toutes auront à vivre, et d’emblée ainsi désigné par l’errance de Leonore durant l’Ouverture, à la recherche du captif. Une scénographie embryonnaire accompagne l’intrigue, ainsi qu’une ébauche de costumes, mais c’est surtout le jeu qui définira le mieux la démarche, soumis à une véritable direction d’acteurs, avec des intentions précises.
Accompagnée par Fabien Teigné dans l’élaboration de ce Fidelio, Marguerite Borie fait mouche avec une pertinence qui s’impose. Alors, pourquoi ne s’agit-il pas tout à fait d’une mise en scène ? Sans doute parce que le spectacle n’invente pas d’univers, n’engage pas de forces à défendre une vision du monde. Différents savoir-faire s’y conjuguent adroitement, moins discrètement que le laisse entendre « mise en espace », comme en témoigne un final qui renoue avec une configuration « version de concert » tandis que rôde le mal (Pizzaro) : attention, ces histoires d’un autre âge ont encore cours.
La maison normande a réuni une distribution équilibrée – il en faut malheureusement excepter l’improbable Florestan – dont les acteurs semblent se prêter de bonne volonté à la conception scénique. Avec l’autorité requise, ferme et souple à la fois, le jeune Julien Véronèse (trente-et-un ans) campe un Don Fernando de bonne stature. On retrouve Olivia Doray [lire nos chroniques du 4 décembre 2012, du 28 novembre 2009, du 22 février et du 30 janvier 2008] en Marzelline avantageusement impactée, d’une présence théâtrale au naturel confondant, y compris lorsqu’il s’agit de parler. Également apprécié à plusieurs reprises [lire nos chroniques du 16 février 2010 et du 25 janvier 2012], le ténor clair Xin Wang livre un Jaquino musclé et particulièrement probant, incisif juste ce qu’il faut dans les scènes et subtilement musicien dans la vocalité toute instrumentale du précieux quatuor (Acte I). Après une entrée assez crue dans ce même quatuor, le Rocco de Patrick Bolleire va se bonifiant, livrant bientôt un chant ferme qui sied idéalement au personnage. C’est d’abord par le timbre que Pizarro doit faire frémir : celui du baryton-basse Gidon Saks possède assurément la noirceur requise, comme le laissaient supposer ses Barbe-Bleue et Claggart [lire nos chroniques du 30 septembre 2007 et du 21 avril 2010] ; sans surenchère, assise, articulation et couleur agissent directement. Enfin, les larges moyens de Cécile Perrin [lire nos chroniques du 13 février 2013 et du 20 mars 2007] incarnent une Leonore à la fois caractérisée et nuancée qui libère de vastes transports, quasi-verdiens.
S’il s’agit de jouer la musique de Beethoven, il ne fait aucun doute qu’Oswald Sallaberger respire comme un poisson dans l’eau. Dès l’Ouverture, le geste musical marie remarquablement franchise, souplesse et profondeur. Prenant discrètement le temps des finals, soignant minutieusement l’effervescente moire des cordes, il ose un souffle altier qui porte haut la soirée. À ce bel appel l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie répond « présent », mis à part quelques aléas des cuivres au premier acte. Préparé par Pieter-Jelle de Boer, le Chœur Accentus signe une prestation de grande tenue.
BB