Chroniques

par hervé könig

Fidelio
opéra de Ludwig van Beethoven

Longborough Festival Opera
- 2 juillet 2017
Fidelio, intéressante production d’Orpha Phelan au Longborough Festival Opera
© matthew williams ellis

Dans les Costwolds, ravissantes collines préservées et même protégées de toute invasion citadine, un festival d’opéra naquit en 1991, dans le petit village de Longborough. Les propriétaires d’un cottage ont commencé par accueillir des concerts chambristes dans son salon, puis une compagnie lyrique itinérante qui se produisit dans une cour, devant les écuries. Dans les années quatre-vingt-dix, ils convertirent une grange en théâtre puis l’équipèrent des fauteuils offerts par la Royal Opera House à l’occasion de ses travaux de restauration. Le succès de l’initiative s’est confirmé d’année en année, jusqu’à quadrupler son public depuis les premiers temps. Bien qu’ayant présenté les grandes pages du répertoire, le Longborough Festival Opera, entièrement réalisé sur des fonds privés, s’est entiché de la musique de Wagner. L’été 2007 fut marqué par la présentation de Das Rheingold que repris l’édition suivante. Die Walküre arrive en 2010, puis bientôt Siegfried (2011) et Götterdämmerung (2012), si bien qu’un Ring complet put être joué ici lors du bicentenaire de la naissance du compositeur.

Avec cette nouvelle production de Fidelio, l’unique opéra de Beethoven, Martin et Lizzie Graham, les « patrons » du festival, se montrent courageux. Plusieurs aspects de la démarche ne plaisent pas à tout le monde, en effet. Pour commencer, les dialogues sont dits en langue anglaise, ce qui favorise la proximité avec le théâtre, aussitôt distanciée par l’allemand du chant. Il semble préférable de maintenir l’idiome original dans l’un et l’autre, mais s’il y a volonté que les paroles franchissent un pont vers le public, alors autant tout faire en anglais, la demi-mesure ne faisant pas sens. Ensuite, la mise en scène d’Orpha Phelan s’appuie sur un parti pris audacieux. En pénétrant dans la salle, les mélomanes sont confrontés à une armada d’infirmiers masqués. Pendant l’Ouverture, ils concoctent des remèdes, triturent des assemblages, embouteillent les substrats, enfin manipulent les seringues qui permettront d’alimenter la dépendance des prisonniers de Pizarro. De quoi s’agit-il ?... Un laboratoire pharmaceutique qui utilise les détenus pour tester les médicaments ? Un atelier de fabrication de drogues pour en faire des zombis faciles à gérer ?

Il est assez juste que cadenas et barreaux sont inutiles lorsque vous dominez tout un peuple grâce à la drogue. Cela peut être le cas en prison, mais aussi partout ailleurs, et la drogue n’est pas nécessairement ce que l’on croit. De ce point de vue, Orpha Phelan interroge adroitement notre société qui se veut performante à tout prix, tout en étant soumise aux plaisirs immédiats du loisir. En déplaçant Pizarro en chaise roulante, elle introduit de l’humanité dans la trame, là où le schéma d’origine nuançait moins. Des tubes relient les veines des captifs à une sorte de distributeur géant – d’excitants, de calmants, de nutriments, de stimulants, de sédatifs, etc. –, au cœur du dispositif. La scénographe Madeleine Boyd n’hésite pas à emboîter le pas dans l’univers du cinéma d’anticipation sur fond de critique politique. De prime abord, le concept est vécu comme une provocation assez simpliste, mais si l’on accepte de se prendre au jeu, une grille de lecture renouvelée de l’allégorie du triomphe de l’amour et du bien sur le mal et l’oppression s’édifie peu à peu, ce qui est toujours enrichissant.

Une poignée de bons chanteurs engonce loyalement la production.
Dans le rôle-titre, le soprano charnu d’Elizabeth Atherton se déploie avec générosité, accordant aux mots tout leur poids, jusqu’à donner la chair de poule, pour peu que l’option globale n’ait pas rebuté. L’aigu est lumineux et le phrasé conduit en douceur vers l’émotion. Applaudi dans le répertoire wagnérien [lire notre chronique du 3 février 2012], Simon Thorpe possède un timbre corsé qui convient à Pizarro. Le jeune Sam Furness donne un Jaquino honorable auquel répond l’agile Marzelline de Lucy Hall. Remarqué à Modène en début d’année [lire notre chronique du 7 février 2017], John Paul Huckle incarne magistralement le geôlier. Une voix grande à la couleur riche nourrit un legato de toute beauté qui crée une empathie particulière pour le soucieux et bon Rocco. La partie du ministre Fernando est impeccablement tenue par la basse Timothy Dawkins. Très directionnelle, la voix claire d’Adrian Dwyer sied au prisonnier sans marquer le rôle.

À la tête du Chœur maison, Thomas Payne signe un beau travail, de même que Gad Kadosh avec ce Fidelio haletant dont on regrettera juste qu’il malmène un peu la respiration des chanteurs. Le résultat maintient le drame à fleur de peau.

HK