Chroniques

par bertrand bolognesi

Fierrabras
opéra de Franz Schubert

Salzburger Festspiele / Haus für Mozart, Salzbourg
- 16 août 2014
à Salzbourg, Ingo Metzmacher joue Fierrabras, un opéra signé Schubert
© monika rittershaus

Près d’un siècle après Telemann (1728), Franz Schubert se penche sur les amours légendaires d’Emma et Eginhard, via le livret concocté pour lui par Josef Kupelwieser d’après La chanson de Roland, entre autres sources. Nous sommes en 1823, le jeune compositeur viennois ne parvient guère à s’imposer comme créateur d’ouvrages lyriques et, une fois de plus, se trouvera déçu par ce projet d’envergure qui ne verrait finalement les planches que sept décennies plus tard, à Karlsruhe – en son absence, bien évidemment.

Après en avoir commandé une mise en scène à Claus Guth lorsqu’il était en poste à l’Opernhaus de Zurich [lire notre critique du DVD], c’est aujourd’hui à Peter Stein qu’Alexander Pereira a confié le Fierrabras de Salzbourg. Ayant à voyager dans un ouvrage aux nombreux et rapides changements de scènes, Stein a conçu une sorte de livre d’images, par le recours à des toiles peintes à l’ancienne qui cependant arbore allure de gravures, ce qui en distancie sainement l’usage – décor de Ferdinand Wögerbauer. Le résultat est plutôt joli et laisse gentiment voguer l’imagination, qu’elle se projette dans un château médiéval, sous les ramures d’un jardin ou les arcs maures. Les tableaux de chœur gagnent une représentation d’une grande clarté, mais les moments plus intimes sont nettement moins efficaces. La production assume donc un classicisme non rétrograde qui ne s’encombre guère de construire les personnages plus loin qu’un archétype relativement enfantin. Certains passages bénéficient d’une esthétique particulièrement réussie (les captifs dans la tour, par exemple), remarquablement mise en lumière par Joachim Barth.

Le plateau vocal idéal demeure sans doute impossible à réunir, pour cet ouvrage très exigeant avec les chanteurs. De celui-ci l’on apprécie particulièrement la robustesse et la présence scénique du baryton-basse Péter Kálmán en Bolang, l’Emma agile et lumineuse de Julia Kleiter, et Markus Werba qui, d’une forme rayonnante, incarne un Roland somptueusement musical. Le grand trio de la soirée est formé par Dorothea Röschmann, Florinda de feu au timbre immensément riche, la souveraine autorité de Georg Zeppenfeld en Charlemagne, enfin par le rôle-titre, fièrement tenu par le très vaillant Michael Schade. Moins concluant se révèle Benjamin Bernheim en Eginhard qui accuse une tendance à forcer, de plus en plus effective au fil du spectacle. La voix se durcit, l’aigu s’enlaidit, la musique disparaît.

Les parties chorales satisfont plus que tout le reste, indéniablement. Les artistes du Wiener Staatsopernchor tiennent l’écoute en haleine, par une interprétation infiniment nuancée, une précision sans pareille, une présence simplement fascinante. À la tête des Wiener Philharmoniker, dont jeudi nous avons salué le splendide Rosenkavalier [lire notre chronique de l’avant-veille], Ingo Metzmacher livre une lecture volontiers mystérieuse, dès l’Ouverture et ses dramatiques tremolos, qui souligne à juste titre les audaces de l’œuvre. Avec grande élégance, il souligne l’extrême ravissement de l’écriture des vents. D’abord un rien crue, son approche gagne peu à peu un liant dont elle ne se départit plus, tout au service du drame et de sa fin heureuse. On admire la saine vigueur de cette fosse.

BB