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Chroniques
Figaro gets a divorce | Figaro divorce
opéra d'Elena Langer
Dans la cité de Calvin, le feuilleton d'adaptations opératiques du merveilleux triptyque de Beaumarchais finit en roue libre, au troisième jour, avec la création suisse de Figaro gets a divorce. Au cœur de cet opéra contemporain aux multiples ambiances – belle rencontre, ce soir, entre l'écriture aussi moderne que chatoyante de la compositrice britannique d'origine russe Elena Langer et le saisissant Basel Sinfonietta [lire notre chronique du 22 janvier 2012] dirigé par Justin Brown – domine l'univers nébuleux d'un film d'espionnage, silhouettes en cavale dans un brouillard d'après-guerre sur une scène éclatée de graffitis, d'ombres et de lumières.
Tel le jeune officier Serafin attendant un train (première scène du second acte)…
À ses côtés, le cœur gros, Angelika veut le retenir. À la fois lancinante et brillante, la musique exprime nettement la morosité de l'amour difficile, son suspense fané quand la vie tire au roman noir. Serafin est le fils du Comte et de la Comtesse, personnage très proche de Léon dans L'autre Tartuffe ou La mère coupable, drame bourgeois de 1792 et objet de rares adaptations à l'opéra – ainsi Darius Milhaud en 1966 et Thierry Pécou en 2010 [lire notre entretien avec le compositeur et notre chronique du 27 avril 2010].
Loin de l'esprit de Beaumarchais, le projet alambiqué de David Pountney, metteur en scène assez magistral [lire nos chroniques du 11 septembre 2015, des 4 et 5 février 2012] et librettiste légèrement loufoque (mais encore directeur du Welsh National Opera, lieu de création de l'œuvre, en février 2016), s'inspire plutôt de Figaro lässt sich scheiden (Figaro divorce, 1936), comédie grinçante d'Ödön von Horváth. À cette fin est inventé le personnage du Major, le félon, la sadique ordure de guerre qui traque, deux actes durant, la famille Almaviva et leurs valets Figaro et Susanna, tous unis dans la fuite. Migrants, milicien, travesti (surnommé Le Chérubin !) et chanteuse de cabaret composent un microcosme brechtien, dans une certaine opulence des décors (même dans le minimalisme) et des costumes (références au cinéma et à l'histoire du XXe siècle). Le travail de Ralph Koltaï et Sue Blane culmine dans ce dernier épisode (et possible raison d'être) de la trilogie [lire nos chroniques d’Il barbiere di Siviglia et des Nozze di Figaro].
Surtout, dans ce récit épisodique, la partition d'Elena Langer déballe toute une gamme de transitions musicales fascinantes, brillamment orchestrées. Depuis la petite jungle sonore en ouverture jusqu'à la sage finitude onirique dans les ultimes notes, en passant par quelques ensembles gracieux, de poursuites en échos, flashbacks, emprunts sud-américains, secousses ou explosions, le plaisir est grand de faire connaissance avec un art lyrique aussi musclé qui tire le meilleur d'un livret en général sans poésie. Sur une trame faiblarde, allons donc presque jusqu'à reprendre le compliment de Richard Wagner à l'endroit des Noces : « le dialogue tout entier devient musique, et la musique à son tour devient dialogue ».
Cependant, les chanteurs n'ont que peu de mélodies, encore moins d'airs, pour s'exprimer, à l'image des tourtereaux aux ailes brisées, le soprano Rhian Lois en Angelika et le mezzo Naomi Louisa O'Connell en Serafin. Remarquons le cœur et le beau timbre virils du baryton David Stout en Figaro. Le machiavélique Major, son rival scabreux, existe dans toute sa complexité grâce au talent du ténor Alan Oke [lire notre chronique du 23 mai 2009]. Le débit sec et élégant du Comte tient au baryton Mark Stone [lire notre chronique du 21 janvier 2004], tandis que son épouse vit par le chant clair, ému et bien articulé du soprano Ellie Dehn, exceptionnel de lyrisme. Le contreténor Andrew Watts s'élance vaillamment, de corps et de voix, pour camper un Chérubin osé et juste, tenancier d'un bar glauque où échoue la divorcée Susanna. Au dernier détour d'une intrigue nouvelle ou peu connue, voire confuse, le rôle camériste, particulièrement beau quand s'élève le joli soprano de Marie Arnet [lire notre chronique du 11 mars 2005], est le grand révélateur du sens désordonné de la vie (« I love you. But I am pregnant ») et de la mort (« Then... you killed him »).
Tout le propos semble aller à l'encontre des opéras bouffes précédents et d'une dramatique mélancolie. En conclusion de Figaro gets a divorce, il y a néanmoins réconciliation et, en toute fin, un large message d'amour. File le méconnaissable fugitif, le bon vieux Figaro nous manque déjà !
FC