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Chroniques
fil d’Ariane
C’est bien connu, la mythologie est une réserve inépuisable de sujet pour les musiciens. Certains mythes en inspirent plus que d’autres. Ainsi, celui d’Ariane, abandonnée à Naxos par son époux Thésée, a inspiré, parmi les plus remarquables, Monteverdi, Haydn et plus récemment Strauss. À défaut de labyrinthe crétois, elle nous guidera aujourd’hui d’un bout à l’autre de trois siècles de musique.
Dans les salons de la Préfecture de Périgueux, tout d’abord, c’est au son feutré d’un pianoforte viennois que s’élève sa complainte, dans Ariadne auf Naxos de Haydn [gravure] qui ouvre le récital d’Aline Zilberajch et du soprano Bethsabée Haas. Composée en 1789, cette courte cantate est excessivement opératique et la jeune femme ne se prive pas d’en jouer. Dotée d’une voix chaude et charnue, pleine de caractère, elle met du théâtre dans son chant et on se prend bientôt à confondre le décor Second Empire du lieu avec la grève désolée, battue par le vent, de la fameuse île grecque sur laquelle, dit le mythe, Ariane épousera Dionysos. On ne regrette alors que la relative timidité d’Aline Zilberajch qui peine à donner à son accompagnement la dimension orchestrale qui siérait à la scène.
Elle déploiera, en revanche, des trésors de subtilité et de naturel dans le cycle de Canzonettas, composé entre 1794 et 1795, où les amoureux de Haydn pourront se délecter de ces courtes et délicates chansons qui annoncent le Lied romantique. Écritssur des poèmes (en anglais) de Anne Hunter, on y retrouve tous les thèmes chers aux romantiques : le désarroi amoureux, le fantastique, et même le Wanderer, avec son cortège de solitude, de voyage d’hiver et de lune blafarde. Et on ne peut s’empêcher de deviner, sous les accompagnements suggestifs et accents Sturm und Drang, le génie de Schubert, qui éclora une vingtaine d’année plus tard, à peine. Aline Zilberajch et Bethsabée Haas y brillent d’une lueur diffuse et chaude par leur tact et leur respect du texte – elles savent à merveille ciseler le charme galant des vers de Piercing Eyes, déchainer la colère de Fidelity, ou pénétrer la douce mélancolie de The Spirit’s Song. D’une grande souplesse vocale (avec seulement quelques rares faiblesses dans le registre aigu), le soprano sait pleinement user de la chaleur narrative de son timbre, notamment dans les graves.
Après avoir ainsi goutté au romantisme – en y trempant avec précaution la plante des pieds –, nous retrouvons Ariane chez Monteverdi. Elle se lamente à présent par la voix de la soprano Roberta Mameli, accompagnée de l’ensemble La Venexiana. Fondée en 1996 par Claudio Cavina, La Venexiana est aujourd’hui connue et uniment reconnue pour ses interprétations des Madrigaux de Monteverdi, et leur travail est assurément impressionnant. Le texte et sa rhétorique, objet de tous les soins du compositeur, sont à nouveau au centre de leur attention et tous les moyens musicaux mis en œuvre pour les mettre en valeur se retrouvent dans leur jeu, sans ostentation excessive pourtant : couleurs harmoniques (avec ce piquant ou ce déchirant, c’est selon, si caractéristique du tempérament mésotonique), diction, ton de voix… Avec eux, que ce soit dans le Lamento di Arianna, le Lamento della Ninfa ou le Ballo delle Ingrata, le recitar cantando retrouve toute sa saveur. Il y a, certes, dans le spectacle qu’ils donnent, un certain maniérisme et une certaine complaisance qui peuvent occasionnellement agacer, mais on les oublie bien vite, emporté par la basse continue riche, profonde et dynamique, qu’ils savent si bien marier avec l’acoustique généreuse de l’Église de la Cité.
JS