Chroniques

par bertrand bolognesi

Filarmonica George Enescu, Peter Ruzicka
œuvres de Béla Bartók, George Enescu et Peter Ruzicka

Festivalului Internaţional George Enescu / Ateneul Român, Bucarest
- 3 septembre 2015
au festival Enescu de Bucarest, Peter Ruzicka dirige sa propre musique
© cătălina filip

Deux concerts ponctuent notre deuxième journée à Bucarest. Le premier est donné par la Filarmonica George Enescu, en l’étonnant Ateneul Român, salle circulaire ornée d’une vaste fresque illustrant l’histoire nationale, du Ier siècle après J.-C. jusqu’à l’Entre-deux-guerres. Dans le cadre du Festivalului Internaţional George Enescu, il paraît naturel que l’orchestre qui porte le nom du compositeur ouvre ce moment par l’une de ses œuvres. Au printemps 1934, Enescu achevait l’esquisse de sa Symphonie en mi mineur n°4 dont il ne réaliserait finalement pas la version définitive. Près d’une soixantaine d’années plus tard, le musicologue et compositeur Pascal Bentoiu (né en 1927), qui dédia la majeure partie de sa vie à la recherche sur l’œuvre de son aîné en publiant plusieurs essais, entreprit d’orchestrer cette page, de même qu’il le fit pour la Symphonie en ré majeur pour ténor et chœur féminin de 1941.

À la tête de la Filarmonica George Enescu, Peter Ruzicka en donne une version au ton grave. L’Allegro appassionato est ouvert dans une sonorité assez épaisse dont il ne parviendra pas à s’échapper, au fil d’une exécution d’une seule farine, alors qu’on soupçonne aisément ce qu’à plus de nuances le mouvement gagnerait d’intérêt. Peu à peu, la lecture s’assouplit à peine, manquant toutefois de cettesuavité, de cette grâce qui se laisse deviner. En revanche, le chapitre central (Un poco andante, marziale) bénéficie d’une interprétation nettement plus différentiée, mêlant des opulences straussiennes à une couleur française, mais encore l’élan bartókien à la chaloupe mahlérienne. La sûreté des instrumentistes s’impose, notamment dans des appogiatures qui jouent adroitement avec la perception. L’Allegro vivace non troppo sourd sans interruption du précédent mouvement, recouvrant la clarté du I, cependant surligné d’un marcato dispensable conférant à cette mouture un aspect paradoxalement laborieux et routinier qui laisse penser qu’un dessin plus précisément ciselé aurait été le bien venu.

Chef d’orchestre, Peter Ruzicka est aussi acteur « administratif » de la vie musicale, puisqu’il fut « patron » du Salzburger Festspiele pendant cinq ans, après avoir été intendant de l’Hamburgerische Staatsoper et du Radio Sinfonieorchesters Berlin. Encore est-il compositeur – nous avions d’ailleurs vu à Cologne son opéra Celan [lire notre chronique du 17 avril 2004]. Écrit en 2013, Clouds für großes Orchester mit Streichquartett constitue son soixante-quatorzième opus, créé à Linz le 20 juin dernier. À la Philharmonie Enescu se joint le Quatuor Solartis. Cette page repose essentiellement sur des effets de défilés et d’attaques, comme assise sur des images que provoquerait une lumière changeante. Après une incise très mince, elle se rapproche sensiblement, s’éloigne à nouveau, comme une menace de pluie avortée. Puis un ostinato furibond de cordes, superposé à des percussions qu’on pourra dire zeppelnd, annoncé par un agglomérat robuste d’accords, vient contrepointer ce climat lancinant, dans un plantureux rehaut de cuivres. L’idée s’érige bientôt en principe cyclique. L’exécution semble particulièrement soignée, dans le contraste comme dans le raffinement.

Ce soin nouveau – qui laisse présumer que peut-être Ruzicka était préoccupé par la présentation de son Clouds au moment de jouer la symphonie, et qu’il s’en trouve désormais libéré – est avantageusement à l’œuvre dans le rare Kossuth, poème symphonique en dix épisodes que Béla Bartók composa entre avril et août 1903, à la mémoire du héros hongrois. L’élégance des premières mesures cède la place à un envol proprement straussien, valeureusement défendu par un effectif assez imposant. Voilà une interprétation fermement menée, sculptant courageusement dans une orchestration des plus denses.

BB