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Chroniques
fin de la résidence de la compositrice
Kaija Saariaho | Maan varjot (création française)
Le cycle consacré par l’Orchestre national de Lyon à Kaija Saariaho est couronné par la création européenne (avant l’exécution londonienne) de Maan varjot (Ombres de la terre) pour orgue et orchestre – un bon moyen de célébrer, en cette clôture de saison et en présence de la compositrice finlandaise, la récente résurrection du Cavaillé-Coll de l’Auditorium Maurice Ravel [lire notre dossier] confié ce soir aux doigts experts d’Olivier Latry. Après la mise en lumière d’un instrument par quelques incontournables du répertoire soliste ou avec orchestre – nous gardons en oreille la Symphonie en ut mineur Op.78 n°3 de Saint-Saëns et la Symphonie concertante Op.81 de Jongen –, il est enfin au service de la création avec cette commande conjointe de l’Orchestre Symphonique de Montréal, de l’ONL, du Philharmonia Orchestra (Londres) et du Southbank Centre.
En clin d’œil aux fondements du répertoire organistique, la Toccata et fugue en ré mineur BWV 565 de Johann Sebastian Bach ouvre le concert, dans l’orchestration du chef britannique Leopold Stokowski. Si par la singularité d’un modèle évoquant parfois une écriture « au-delà » de l’orgue, on comprend une tentative de translation vers le grand orchestre, ce travail cherchant sans doute à reproduire dans le tissu orchestral la puissance et le foisonnement contrapuntique de l’originale, semble passer à côté de son sujet. En complément d’options d’instrumentation qui prêtent parfois à sourire (harpes avec doublure de célesta au son très Fantasia sur tenues de trombones), l’oreille sans cesse est conduite par le jeu de la comparaison (presque nostalgique). Faut-il tout orchestrer ? L’orgue, qui titille sans nul doute par son potentiel polyphonique la curiosité de l’orchestrateur, peut-il toujours se fondre dans une proposition orchestrale ?... Loin de toute relecture, cette adaptation de 1967 reste prisonnière d’un modèle finalement peu adapté aux particularités de l’exercice. Bien que joliment dirigée, non sans une certaine élégance, par un Kent Nagano qui l’allège dans une recherche de phrasé assez convaincante, cette page ne prend décidément pas.
Basculons dans le modèle concertant, avec la confrontation du Cavaillé-Coll en soliste aux côtés du grand orchestre. Inspirées (pour le titre) par quelques vers du poète britannique Percy Bysshe Shelley (1792-1822) et créé par Olivier Latry et l’Orchestre Symphonique de Montréal sous la baguette de Kent Nagano le 29 mai dernier [concert disponible sur medici.tv], Ombres de la terre se construit, sur une forme de séparation de l’orgue et de l’orchestre afin de préserver l’identité sonore de ces deux « instruments », selon son auteure. L’orgue n’est pas pour autant à voir comme un simple outil qui viendrait ponctuellement colorer les richesses d’une écriture orchestrale indépendante. De façon comparable aux fonctionnalités de l’électronique dans l’approche de la créatrice (intimement connectée à l’instrumental), s’instaure ici une complémentarité fertile entre un orchestre générateur de sons complexes (contrôle des hauteurs, microtonalités, etc.) parfois légèrement bruiteux et un orgue permettant textures émergentes et contrôle (hors de certaines limites des instruments du tutti) dans l’entretien du son. Malgré de brèves incursions dans ce qui pourrait s’apparenter à une mise en forme concertante, Kaija Saariaho définit plutôt son opus comme une « œuvre avec une partie d’orgue solo proéminente, un compagnonnage fructueux et inspirant, qui permet la cohabitation de deux personnalités fortes mais civilisées ».
Cette affirmation contient en fait toutes les forces et les faiblesses de l’œuvre. Car s’il est incontestable que cette posture presque anti-concertante est sûrement le meilleur moyen de tirer partie des possibilités des deux entités convoquées, Maan varjot manque néanmoins d’équilibre dans une distance peut-être trop prononcée. Ainsi admirons-nous à maintes reprises l’intelligence (qui n’est plus à prouver) de certains traitements de l’orchestre faisant totalement abstraction du déploiement de la partie soliste – un étrange effet de « dissociation auditive » oscillant perpétuellement de l’un à l’autre et perturbant dangereusement la perception d’un objet global (sans doute un dommage collatéral de cette recherche d’identité et d’individualisation). Pour autant, la pièce fait également entendre de nombreux effets de synthèse (orgue sur tenues dans le grave doublé par les trombones avec sourdines, médium mis en résonnance et coloré par les claviers de percussion et percussions métalliques, etc.) mêlant et redistribuant dans l’espace les sources instrumentales dans une nouvelle forme d’éloignement du modèle concertant. Organiste de formation, ce qui est aisément perceptible dans la fluidité d’écriture, Saariaho développe un opus adapté aux ressources techniques et expressives d’Olivier Latry (prenant aussi en compte la notion d’improvisation). De nombreuses sessions de travail entre les deux protagonistes au moment de la gestation de la pièce (notamment pour fixer couleurs et jeux) permirent d’élaborer une partie sur-mesure que l’organiste français délivre parfaitement.
Au regard de précédents concerts l’Orchestre national de Lyon convainc toujours autant, y compris dans cette valse successive de chefs invités. Malgré une prestation de belle qualité, l’œuvre laisse un goût quelque peu étrange. Peut-être sommes-nous passés à côté de quelque chose… En bis, Latry boucle la boucle par sa lecture de la Toccata en fugue qui semble vouloir tendre vers le modèle orchestre. Cette prolongation en soliste laisse appréhender de manière directe la sonorité de l’orgue restauré. Malgré une puissance remplissant admirablement l’espace, nous y trouvons une certaine dureté dans un son à la froideur parfois synthétique.
La Symphonie en ut mineur Op.68 n°1 de Johannes Brahms vient clore un programme déjà dense. Nous en apprécions particulièrement la tension entretenue dans l’introduction du premier mouvement et la construction parfaite du final, entre choral et thème de cor des Alpes. Si le choix de cette œuvre, qui semblait rompre avec la cohérence de la soirée, laisse sceptiques, il crée néanmoins une diversion appréciable. Outre l’exécution sérieusement menée de Kent Nagano [lire notre entretien], saluons la réactivité et la solidité d’une formation évoluant avec facilité dans un menu contrasté.
NM