Chroniques

par bertrand bolognesi

fin du cycle Mahler de l'Orchestre de Paris
Das Lied von der Erde

Salle Pleyel, Paris
- 14 octobre 2009

Ce soir s’achève le vaste cycle Mahler proposé par l’Orchestre de Paris. C’est Das Lied von der Erde, symphonie déguisée en suite de Lieder avec orchestre, qui couronne le projet. Et un Chant de la Terre sur lequel les fées ont bien voulu se pencher ! À la tête de la formation qu’il conduit pour la dernière saison, Christoph Eschenbach livre une interprétation d’une grande tenue, qui sait ne pas s’écouter trop. Aucune surcharge dans les contrastes, pas d’effets superflus, bien au contraire : l’articulation se fait presque chambriste, d’une extrême délicatesse, sans pour autant paraître précautionneuse. On y profite de chaque détail, minutieusement défini, choisi, dosé, par une inflexion miraculeusement inspirée ; dans le même temps, pertinente s’affirme la vision d’ensemble. Lorsqu’on aura dit que les musiciens, affichant une forme olympique, se prêtent avec la meilleure bonne volonté qui soit à l’invite du chef, le lecteur comprendra notre enthousiasme.

Compositeur en pleine possession de ses moyens et qui poursuivait de longue date une carrière de chef, Gustav Mahler n’est pas soupçonnable d’avoir mal dosé l’entrée du ténor dans le premier mouvement de l’œuvre. Tout donne à croire, au contraire, qu’il ait souhaité que la voix nous parvienne avec effort, qu’elle y naisse fragile dans la masse instrumentale. Celle de Nikolaï Schukoff surgit derrière le tutti, comme il se doit, pour affirmer ensuite sa réelle vaillance, dans un phrasé toujours élégant – un tour de force dans cette partition ! Voilà un chant à l’expressivité contenue, sans raideur aucune, capable d’attaques très souples dans l’aigu (comme ce Dunkle ist das Leben, ist des Tod, d’une infinie tendresse), parfaitement élastique. Rappelez-vous : il chantait la Huitième à Bercy, en mars 2008 ; n’oubliez pas : il chantera Das klagende Lied jeudi prochain (29 octobre) au Châtelet.

Sur une texture subtilement travaillée se pose la voix du mezzo-soprano Yvonne Naef, elle aussi régulièrement entendue dans ce répertoire (Mahler, mais aussi Schönberg, etc.). Si l’art de la nuance, une fois de plus, se déploie avec évidence, le legato s’est malencontreusement absenté, de même que s’est acidifié le registre aigu. Le quatrième mouvement bénéficiera d’un chant plus souple, cela dit, tandis qu’un grand raffinement de couleurs anime les cordes.

Au rien de théâtralité bien venu pour la furieuse chanson à boire, si noire (Der Trunkene im Frühling) – ce qui n’empêche Nikolaï Schukoff de mitonner des fins de phrases superbement filées et d’exquis passages en voix mixte –, succède un Abschied austère. Sans étirer outre mesure le geste musical, Eschenbach prend appui sur la gravité de ton, s’exprimant en dehors de toute débauche lyrique mais bien plutôt dans l’extrême ciselure. Le long développement instrumental avant le retour du chant – un principe en germe dans les Kindertötenlieder – aboli le temps, place définitivement Mahler au-delà de toute nostalgie. Un moment de grâce absolue.

BB