Chroniques

par gilles charlassier

Florentine Mulsant | Jardin d'étoiles Op.44 n°2
Éric Cambres, Raphaël Chrétien, Jean-Michel Dayez, Xavier Gagnepain,

Nathanaël Gouin, Pierre Roullier, Ruth Rosique et Lyonel Schmidt
Académie Festival des Arcs / Centre Taillefer, Arc 1800
- 25 juillet 2018
Florentine Mulsant, compositrice en résidence à l'Académie Festival des Arcs
© dr

Depuis plus de quatre décennies, l'Académie Festival des Arcs témoigne d'une double réussite : non content de contribuer à l'animation, hors de la saison des skis, d'une station construite pour les sports sur poudreuse, la manifestation alpine conjugue avec intelligence le répertoire et la création contemporaine. Placée à la fois sous le signe de Bernstein, dont on célèbre le centenaire, et la résidence de Florentine Mulsant, l'édition 2018 confirme les ambitions artistiques et pédagogiques d’Éric Cambres qui dirige ce rendez-vous musical singulier depuis 2005 : au delà de la gratuité des événements, c'est toute une conception d'ouverture esthétique qui est ici défendue, défiant les enjeux de rentabilités financières et épigonales.

Le programme de ce mercredi en livre une belle illustration. La soirée s'ouvre sur Trois méditations que Bernstein a lui-même tirées de sa Mass. Le violoncelle de Raphaël Chrétien et le piano de Jean-Michel Dayez déclinent l'intensité expressive des trois numéros, depuis une introspection lente, dense, jusqu'à un final également intérieur, après un deuxième mouvement plus ductile, coloré de pizzicati d'une délicate saveur. Avec Jardin d'étoiles Op.44 n°2, Florentine Mulsant voulut mettre en notes trois épisodes du Petit Prince de Saint-Exupéry : la rencontre avec l'aviateur, celle avec le renard, et l'ultime avec le serpent. Pour le présent concert, la pièce est donnée avec les extraits du conte, lus par Xavier Gagnepain. L'entrelacs des mots et de la musique, répartie en quatre séquences, souligne la qualité narrative et évocatrice de la partition. Le violon de Lyonel Schmidt prend le relais des premiers accords pianistiques de Nathanaël Gouin dans la saynète augurale où affleure une générosité affective et mélodique qui innerve toute l'œuvre : soutenu par le clavier, l'archet assume la teneur élégiaque du propos, en contraste avec l'approche du renard, jouant avec le rythme pour esquisser l'apprivoisement et ses ruses farouches. La morsure du serpent et la mort du héros s'exposent dans un mélange de couleurs et de pudeur, calibré avec sensibilité par les deux interprètes.

Le plateau se remplit pour la réduction pour orchestre de chambre de la Symphonie en sol majeur n°4 de Mahler réalisée par Erwin Stein. À un par pupitre, l'effectif, placé sous la houlette de Pierre Roullier, ne néglige aucun des éclairages solistes, isolés avec une fraîcheur supplémentaire. Bedächtig, nicht eilen, le mouvement initial s'affirme avec un allant chatoyant, à peine altéré par la diététique de l'arrangement. Celle-ci devient anecdotique dans le scherzo, noté In gemächlicher Bewegung, ohne Hast, où se distingue le solo discrètement narquois du violon d’Éric Crambes. L'économie de l'adagio s'accommode fort bien de ce surcroît d'intimité, équilibré avec attention. La versatilité des humeurs du final est peut-être ce qui pâtit le plus d'une concentration orchestrale ne pouvant s'appuyer sur une plasticité des textures assez ample. Cette limite n'obère pas pour autant le lyrisme de Ruth Rosique dans un Lied détournant l'apparente naïveté des paroles, et confirme qu’intelligemment adaptée la géométrie variable des formations chambristes ne sacrifie aucun répertoire.

GC