Chroniques

par hervé könig

François-Xavier Roth dirige Les Siècles
Épisode 3 : Kammerkonzert (1970) et Concerto pour piano (1988)

Jean-François Neuberger (piano) et Isabelle Faust (violon)
Auditorium / Maison de la radio et de la musique, Paris
- 28 novembre 2023
François-Xavier Roth rend hommage à György Ligeti au pupitre de l'ONF...
© mark allen

Au troisième des quatre concerts proposés à la Maison de la radio et de la musique par l’Orchestre national de France en collaboration avec Les Siècles et son chef François-Xavier Roth, pour célébrer le centième anniversaire de György Ligeti qui nous quittait au printemps 2006, deux œuvres choisies dans des périodes très différentes du compositeur hongrois. Ce soir, les musiciens de l’ONF ont cédé le plateau à leurs confrères des Siècles, répétant intensément par ailleurs puisqu’à la fin de cette semaine ils parachèveront le cycle Ligeti par une version de concert de l’opéra Le Grand Macabre [lire nos chroniques des productions scéniques de La Fura dels Baus, de Kasper Holten, de Vasily Barkhatov et de Jan Lauwers].

La soirée est ouverte par le Kammerkonzert de 1970 que Friedrich Cerha créait ce printemps-là à Baltimore à la tête de son Ensemble Die Reihe qu’il avait fondé en 1958. D’ailleurs, le troisième des quatre mouvements conçus pour une vingtaine d’instruments joués par treize musiciens, est dédié à Cerha. Dès Corrente, nous entendons un flux complexe, hérité des pièces d’orgue. Les cordes lui donnent un dessin précis quand les bois le colorent. Le soin apporté à chaque aspect de l’écriture relève bien d’une approche de solistes, fidèlement à l’esprit de cet opus, mais pour n’être pas de qualité non recommandable ceux des Siècles ne sont certes pas ceux de l’Ensemble Intercontemporain avec lesquels Pierre Boulez réalisa une gravure de référence. Calmo sostenuto impose un faux immobilisme typique de la manière de Ligeti, dont Roth sait bien profiter, ponctué par ce climat propre aux pages des années soixante, comme Atmosphère et Lontano qui inaugurèrent l’événement jeudi [lire notre chronique du 23 novembre 2023]. Après un Movimento preciso e maccanico bénéficiant d’une louable exactitude ainsi que d’une sonorité moins moderne qu’on l’attend en général et qui a pour vertu d’en souligner les trouvailles, les artistes honorent le fourmillant Presto final et ses condensations répétitives qu’ils mettent habilement en relief.

De 1985 à 1988, le musicien s’attelle au Concerto pour piano, dans la foulée des Études [lire notre chronique du 5 mars 2023] qui étaient venues cautériser la convalescence qui suivit la première de l’opéra évoqué plus haut. Sans cesse insatisfait, Ligeti en a repris le matériau avec une exigence presque maladive avant de fixer définitivement sa forme. Lorsqu’il est mondialement créé à Graz à l’automne 1986, l’opus s’articule en trois mouvements, mais un an et demi plus tard il en dénombre cinq. Après un changement de plateau d’environ six minutes, Jean-Frédéric Neuburger [lire nos chroniques du 6 janvier 2005, du 3 octobre 2008, du 4 mars 2011, du 1er juin 2012, des 24 août et 18 novembre 2014, du 3 février 2021 et du 1er août 2023] gagne la scène où il sera le soliste de cette page entendue il n’y a pas si longtemps, sous les doigts de Dmitri Vassilakis [lire notre chronique du 3 mars 2023]. Le choix d’une sonorité plutôt sourde pour ce début étouffe curieusement la teneur rythmique, mais l’échappée dans l’aigu de la mécanique bien huilée renoue avec la clarté. Le peu de fiabilité des cuivres déconcerte beaucoup, comme la raideur générale de l’interprétation orchestrale, quand le pianiste révèle une assurance indiscutable, lui. Au fil des mouvements, le sentiment que cela ne prend pas est confirmé, malheureusement.

Loin d’associer aux œuvres de György Ligeti celles de ses aînés hongrois, tels Liszt mais surtout Bartók [lire notre chronique du 26 novembre 2023], le programme abandonne le Hongrois et se tourne, après l’entracte, vers Wolfgang Amadeus Mozart. J’avoue ne pas comprendre ce que le XVIIIe siècle vient faite ici, vraiment. Pour introduire l’Allegro du Concerto pour violon en sol majeur K.216 n°3 (1775), le tutti se montre poussif et pas toujours très précis. Quant à Isabelle Faust, que nous avons si souvent applaudie et avec tellement de cœur [lire nos chroniques des 19 janvier et 23 juillet 2005, du 14 novembre 2009, du 21 octobre 2011, du 19 mai 2016, du 7 décembre 2017, du 11 septembre 2019 et du 20 mars 2022], elle convainc peu avec une couleur exsangue et une fâcheuse inégalité de timbre. Malgré une ouverture en fanfare qui suscite l’enthousiasme, l’exécution de la Symphonie en ré majeur K.385 n°35 dite « Haffner » nouslaisse sur notre faim, elle aussi. En plus d’une approche heurtée qui n’est pas favorable, il est probable que nous ne soyons pas disponibles à écouter ces pages après celles de Ligeti. Dommage…

HK