Recherche
Chroniques
Françoise Lasserre dirige Akadêmia
trois histoires sacrées d’Heinrich Schütz
Il ne saurait être indifférent que trois oratorios d’Heinrich Schütz soit donnés ce soir en l'Abbaye de Chancelade… Cette musique est à la source même de Sinfonia en Périgord. Lorsqu'il avait dix-sept ans, David Theodoridès allait entendre à La Chaise Dieu quelques pages de Wagner ou Liszt et l'un des derniers récitals de György Cziffra. Un ami l'invitait alors assez impérativement à un concert Schütz où l'ensemble Clément Janequin jouait Les sept dernières paroles du Christ en Croix. « Ce serait pour un moi un grand choc, une émotion intense, après laquelle j'ai du garder le silence plusieurs heures. En un mot : une révélation », nous confie-t-il. « De là naquit l'idée de créer Sinfonia. La pratique de la musique sur instruments anciens s'est vite imposée, par sa tentative d'authenticité, l'énergie qu'elle déploie, l'utopie du renouveau baroque s'avérant fascinante ». Il y a quinze ans, l'aventure commença par quelques week-ends de concerts, à la fin de l'été. Le choix de cette période de l'année correspondait à une volonté d'offrir au public étranger à la région (nombreux en Périgord en août) autant qu'au public local, une manifestation de qualité. Dès le début, de grandes personnalités musicales, parmi lesquelles Concerto Köln, La Petite Bande, Gustav Leonhardt, Andreas Staier ou encore Ton Koopman, ont porté le festival. Peu à peu s'est affirmée la nécessité de transformer ces week-ends en décade. Cela permit, depuis quatre ans, plus de possibilités.
« On a dessiné des grands axes : soirées phares, grands oratorios, tout en s'efforçant de ménager des espaces de découverte – d'un répertoire moins attendu et de jeunes formations peu connues. Ainsi obtint-on un élargissement de l'horizon du public, qui a bien sûr besoin de retrouver aussi des œuvres qu'il connaît, mais d'en approcher d'autres ».
D'année en année, le public a formé une « famille » qui s'étendit de plus en plus, de même qu'une familled'artistes s'est constituée, qui s'ouvre et se développe : des amitiés naissent, des musiciens reviennent régulièrement – comme Gérard Lesne, par exemple, ou Bernard Fabre-Garrus, dont le public ne saurait faire l'impasse d'un rendez-vous annuel en Périgord –, certains entretiennent un lien privilégié avec Sinfonia, etc. « On discute et l'on construit les programmes avec les artistes, établissant des prises de risques communes en tâchant, sans ignorer les contingences matérielles qui imposent leurs lois à l'événement, de préserver une innocence d'amateurs, dans le sens le plus noble qui se puisse entendre. Tout cela n'exclut pas l'ambition que le domaine que nous avons commencé de construire s'étende un jour sur l'ensemble du département, lieu qui présente un terrain historique propice à cet art ».
Le maître d'œuvre de cette grande soirée, moment privilégié de la semaine que nous passons ici, est Françoise Lasserre et son Akadêmia dont plus d'une fois nous avons salué la discographie Schütz sur ces pages. Suivant assez naturellement la chronologie de l'histoire du Christ, la programmation contredit l'ordre des compositions. Ainsi, Historia der Geburt Jesu Christi SWV 435, c'est-à-dire La Nativité, n'est pas le premier oratorio christique schützien ; c'est au contraire Historia des Aufestehung Jesu Christi SWV 50, autrement dit La Résurrection, qui marque les débuts du musicien dans ce domaine. Dans l'approche de Françoise Lasserre l’on constate une clarté salutaire qui vient illuminer la célébration, à l'inverse de ces recueillements de convention trop souvent servis. Si, quelque soit le nombre d'intervenants, tous les ensembles sont prodigieusement équilibrés, les moments solistiques ne bénéficient pas d'une homogénéité infaillible. Ainsi le soprano solo n'est-il plus juste à partir du haut-médium, écrasant souvent le son. Saluons l'efficacité des interventions de cuivres.
La Nativité paraît festive, tandis que la sévère lumière traversant l'écriture de Die sieben Worte Jesu Christi am Kreuz SWV 478 bénéficie d’une articulation instrumentale âpre, sans inélégance. Hervé Lamy s'y avère un Christ très présent, avec un Eli, lama assabthani ! bouleversant. De fait, en règle générale, les voix masculines sont plutôt bien choisies, comme celle de Damien Guillon, contre-ténor au timbre chaleureusement coloré. En revanche, son acolyte Jean-Michel Fumas appuie trop sa prestation dans l'austère Résurrection, jusqu'à distordre dangereusement la hauteur. Ténor entendu lundi soir lors du concert des Paladins [lire notre chronique du 29 août 2005], Benoît Haller se trouve nettement plus à son aise dans ce répertoire qui le révèle plus précis. Enfin Jan Van Elsacker [photo] est une fois de plus un Évangéliste inépuisablement passionnant, capable de promener sereinement son art plus de deux heures dans les joyaux de Schütz. Au passage, remercions l'équipe du festival pour son initiative de surtitrer l'exécution, ce qui favorise la concentration du public.
BB