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Chroniques
Francesc Valls | Missa scala aretina (1702)
Henry Desmarest | Messe à deux chœurs (1707)
Deux messes presque contemporaines (à cinq ans près) font le menu de ce concert, deux opus que fait se croiser l’histoire de Barcelone. Il n’apparaîtra pas curieux qu’un compositeur catalan, maître de chapelle de la basilique Santa María del Mar de la cité portuaire, puis de la cathédrale Santa Creu i Santa Eulàlia, ait sa place dans un tel programme, ô combien somptueusement servi par Jordi Savall à la tête du Concert des Nations et de La Capella Reial de Catalunya. De Francesc Valls (1671-1747), nous entendrons la Missa scala aretina, son œuvre la plus célèbre, créée in loco dans les premières semaines de l’année 1702.
Auparavant, la musique d’Henry Desmarest retentit sous la voûte. Quel rapport avec Barcelone ? Celui qui fut chantre en cette même chapelle, avant de devenir lui-même compositeur, fut convaincu par la justice d’enlèvement et d’abus d’une jeune fille cependant consentante, si bien qu’il dut, avec son amoureuse et leur bébé, fuir à Bruxelles. Le 16 novembre 1700, moins de six mois après la condamnation à mort du musicien, le Grand Dauphin – Philippe de France, petit-fils de Louis XIV et roi de Sicile depuis deux semaines – était proclamé roi d’Espagne et des Indes, conformément au testament signé le 2 octobre par Charles II à l’agonie. Si celui de France ne pouvait guère réhabiliter le coupable, Philippe V, installé à Madrid à la fin d’avril, y invite Desmarest où le promouvoir en juin maître de la musique française de sa cour.
Dans l’espoir de stabiliser les états, le Soleil organise les noces de sa petite-nièce Marie-Louise-Gabrielle de Savoie, qui n’a pas encore treize ans, et de Philippe. Pour ce faire, Felipe de Borbón se rend à Barcelone où il est naturel que le suive son compositeur, Henry Desmarest. De ces mois espagnols et catalans date la Messe à deux chœurs et deux orchestres du Parisien qui toutefois devrait attendre : outre que l’idée de Louis XIV s’avéra assez mauvaise pour provoquer la Guerre de succession d’Espagne (1701-1714), le jeune monarque s’est désormais épris de musique italienne, si bien qu’on ne sait pas au juste ce que fit Desmarest jusqu’à l’aubaine lorraine. En 1707, Léopold le Bon le nomme surintendant de la musique à sa cour de Lunéville où il s’est retiré depuis l’occupation, certes paisible mais effective, de Nancy par les troupes du soupçonneux souverain français. Desmarest vivra donc le dernier tiers de sa longue vie – quatre-vingt ans font alors beaucoup – au Versailles lorrain, tout juste conçu par Bourdict et Borday avant que s’y attelât Germain Boffrand, premier architecte du duché à partir de 1711. C’est là qu’eut lieu la première de la Messe à deux chœurs et deux orchestres, préludant à plusieurs créations en fief du chardon aux ânes – Le temple d'Astrée, Diane et Endymion, Renaud, etc. [lire notre dossier de mars 2003 et notre chronique du 28 avril 2006].
D’emblée saisit le Kyrie dolent, introduit par une brève symphonie.
Un trio soliste articule d’entrelacs le Christe auquel fait réponse le double-chœur. La grâce virevoltante du Gloria capture définitivement l’écoute. On remarque positivement Josep-Ramon Olivé, jeune baryton dont la souplesse est à l’œuvre dans Gratias agimus tibi. Les voix du Cum Sancto Spiritu concluent la séquence dans une envolée indicible. Du Credo surprend le bonheur de Genitum non factum, mais encore la grave élégance de la ritournelle instrumentale, avant un Crucifixus en quatuor vocal inquiet, auquel s’oppose bientôt la prodigieuse tonicité du double-chœur Et in spiritu, puis l’Et expecto fort enlevé. Encore goûte-t-on la tendresse de la symphonie ouvrant Sanctus dans une ligne de flûte. La ferveur chorale du cantique est généreusement impactée. De l’Agnus Dei saluons le récit fermement posé par David Hernández (taille), d’un timbre clair.
Après l’entracte – et avant le feu d’artifice dans les jardins ! –, la harpe d’Andrew Lawrence-King convie en délicatesse le flamboyant Kyrie de la Missa scala aretina de Francesc Valls, avec ses trois chœurs aériens et ses fastueuses trompettes. D’une facture plus compacte en ce qu’elle n’offre pas à proprement parler de numéro solistiques, l’œuvre s’aère cependant dans d’hésitants surplaces harmoniques, cadences audacieusement différées par des intonations presque contraires. En écho, les voix de même registre s’ensuivent d’un chœur l’autre. On apprécie particulièrement celle du contre-ténor Gabriel Diáz, d’une précision exemplaire.
L’impédance chambriste du Qui tollis peccata mundi (Credo) laisse pantois. Le jeu de répons choraux érige en système un tissage polyphonique proche d’une folia (Quoniam tu solus Sanctus), parfois quasi-dansant (Credo in unum Deum). La pureté d’Et incarnatus est, en quatuor soliste, illustre un art précieux des résolutions, extrêmement méandreuses, dont la réalisation n’a rien d’aisé. Ces moments de recueillement le disputent à de véritables explosions en tutti – grandesse oblige. Après un doux et bref Sanctus, rond comme une pomme, Agnus Dei survient en caresse dont le pieux Miserere élève non sans quelque dolorisme le plaisir musical.
BB