Chroniques

par isabelle stibbe

Francesca da Rimini
opéra de Riccardo Zandonai

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 3 février 2011
© mirco magliocca | opéra national de paris

Quelle famille ! Chez les Malatesta, les trois frères, Giovanni le boiteux, Paolo le beau et Malatestino le borgne, sont amoureux de Francesca da Rimini. La jeune fille doit se marier au premier, mais elle s’éprend de Paolo. Ils finissent par devenir amants, le cadet les surprend et les dénonce au mari trahi qui les poignarde l’un après l’autre, liant le couple dans la mort.

Inspiré par la pièce de Gabriele D’Annunzio, elle-même tirée d’un épisode de la Divine comédie, le livret de Tito Riccordi donne matière à l’œuvre la plus connue de Riccardo Zandonai : Francesca da Rimini. Malgré tout, ce compositeur italien, né en 1883 et mort en 1944, reste largement ignoré. Sans doute souffre-t-il de l’ombre de ses aînés – Puccini, par exemple. Sa place dans l’histoire de la musique est pourtant intéressante dans la mesure où il dut trouver comment concilier l’héritage italien avec les influences françaises (Debussy) et surtout allemandes (Wagner, Strauss). Francesca da Rimini, qui fait son entrée au répertoire de l’Opéra, peut se lire comme la petite sœur de Tristan und Isolde tant l’œuvre, créée à Turin en 1914, semble hantée par l’œuvre wagnérienne.

Si l’ouvrage de Zandonai n’atteint pas la grandeur de Tristan, si le duo final n’accède pas au paroxysme du Liebestod wagnérien, si l’ambiance est moins poétique que celle de Pelléas, la partition offre cependant de subtiles harmonies chromatiques et des nuances orchestrales raffinées. Du reste, Daniel Oren, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, rend justice à ses détails pointillistes, tout en trouvant la fougue nécessaire dans les passages guerriers.

Le plaisir de découvrir l’œuvre sur cette scène est pourtant gâché par la mise en scène de Giancarlo del Monaco. Comme pour Andrea Chénier [lire notre chronique du 3 décembre 2009], elle se signale par sa lourdeur et son manque d’inspiration. Le jardin du premier acte est envahissant, le bureau de Giovanni pourrait être aussi bien celui de Scarpia et le bateau de Giovanni est aussi mastoc qu’onirique est celui d’Olivier Py dans Tristan. Sans direction d’acteurs digne de ce nom, les chanteurs se débrouillent comme ils peuvent : Vetla Vassileva (Francesca) tire assez bien son épingle du jeu, du fait de la noblesse naturelle de son maintien, mais William Joyner (Malatestino) se vautre dans une caricature de méchant digne d’un mauvais dessin animé. Côté théâtre, on repassera.

Par bonheur, cette vacuité scénique est rachetée par le plateau vocal. Svetla Vassileva (Francesca) s’acquitte fort honorablement de son rôle écrasant. La voix est plus limpide que ronde, ce qui peut gêner dans les passages intimistes ou sensuels, mais la technique ne faillit pas durant l’intégralité de l’œuvre. Roberto Alagna (Paolo) n’avait pas reparu sur ce plateau depuis sept ans. On ne regrette pas de le retrouver dans la capitale, car le ténor affiche une forme époustouflante. Corsée dans le médium sans avoir rien perdu de sa vaillance ni de sa lumière, la voix, est couronnée par la parfaite diction qui le caractérise. Enfin, George Gagnidze compose un Giovanni impressionnant de puissance et de musicalité, faisant même de l’ombre à William Joyner dont les aigus sont parfois un peu difficiles.

IS