Chroniques

par irma foletti

Francesco Cilea | Adriana Lecouvreur (version de concert)
Brian Jagde, Misha Kiria, Clémentine Margaine, Tamara Wilson, etc.

Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Lyon, Daniele Rustioni
Auditorium Maurice Ravel, Lyon
- 3 décembre 2023
Daniele Rustioni joue "Adriana Lecouvreur" de Cilea en version de concert...
© irma foletti

Comme chaque automne, l’Opéra national de Lyon et le Théâtre des Champs-Élysées donnent en coproduction un opéra en version de concert. Cette fois le choix s’est porté sur Adriana Lecouvreur de Cilea et, comme chaque année, c’est le public lyonnais qui en a la primeur ce dimanche après-midi, avant le Parisien deux jours plus tard. Directeur de l’institution lyonnaise, Daniele Rustioni impressionne une nouvelle fois par la maîtrise technique et la force d’interprétation qu’il communique à son orchestre ainsi qu’aux solistes et choristes en présence. Ce chef est décidemment un vrai maître, aussi bien dans les répertoires italien et français que lorsqu’il sert d’autres compositeurs comme Strauss – Die Frau ohne Schatten en début de cette saison [lire notre chronique du 17 octobre 2023] –, ou encore, lors de saisons passées, Britten, Tchaïkovski ou encore Rimski-Korsakov [lire nos chroniques de War Requiem, L’enchanteresse et Le coq d’or].

On entre tout de suite dans l’argument du chef-d’œuvre de Cilea, la partition n’incluant pas d’Ouverture. Les personnages, même en version de concert, semblent aller et venir dans les coulisses de la Comédie Française. Le volume de l’orchestre est tout de même fort et a tendance à couvrir certaines voix, dans l’acoustique du très vaste Auditorium Maurice Ravel. L’oreille s’habituera au fur et à mesure, en rééquilibrant chant et musique. Les unissons de cordes sonnent d’emblée avec splendeur et, plus tard, plusieurs tutti avec renfort des pupitres de cuivres sonneront avec éclat, contrastant avec la délicatesse de certains détails, comme l’entrée en scène d’Adriana, sur harpe et petites cordes. Les divers et courts soli du premier violon forment une merveille de musicalité, le sans-faute valant également pour tous les autres instrumentistes. La musique des ballets, au troisième acte, a beaucoup d’allure, entre pastorale légère et morceaux plus rythmés, rendant l’écoute passionnante, même en l’absence de toute chorégraphie. Très bien préparé par Benedict Kearns, le Chœur fait preuve de caractère et présente une belle homogénéité, en symbiose avec la partie instrumentale.

Accompagné par une musique caressante, le grand air d’entrée du rôle-titre, Io son l’umile ancella, est d’abord détaillé en mezza voce par Tamara Wilson, avant de s’épanouir davantage en volume pour les dernières mesures. Le soprano américain alternera ainsi, tout au long de la soirée, entre de douces nuances piano d’une intonation très précise et d’autres passages bien plus sonores, en particulier lors des confrontations avec d’autres protagonistes.Récent Calaf lors de la reprise de Turandot à l’Opéra Bastille, Brian Jagdecompose un Maurizio vaillant de bout en bout, depuis son entrée La dolcissima effigie, en passant par le récit guerrier de l’Acte III, Il russo Mencikoff. Le ténor américain dispose d’un supplément de projection pour les notes les plus aigües, ajoutant davantage d’éclat à la fin de ses interventions. L’entrée en scène, au II, de Clémentine Margaine en Principessa di Bouillon fait décoller encore plus haut le niveau vocal, tant l’ampleur de la voix impressionne, sans altérer pour autant la qualité de timbre riche et profond [lire nos chroniques de Gloria, Le prophète, Carmen à Paris et à Toulouse, Norma et Aida]. L’attente fébrile de l’amoureuse, dans l’air Acerba voluttà, dolce tortura, puis le duo avec Maurizio, ainsi que le face-à-face dramatique avec Adriana à la fin du même acte, toutes ces séquences où intervient le mezzo français, actuellement au sommet de son art, électrisent clairement la représentation.

Misha Kiria compose, dans une diction italienne limpide, un touchant Michonnet, le régisseur de la Comédie-Françaisesecrètement épris de l’actrice. Le baryton fait entendre un timbre agréable et fort homogène sur toute la hauteur, même si certains aigus, en fin de phrases ou d’airs, pourraient développer un petit peu plus de puissance. Apparaissant presque toujours ensemble, comme deux compères qui intriguent en permanence, la basse de couleur sombre Maurizio Muraro incarne le Prince de Bouillon [lire nos chroniques de Moïse et Pharaon, Adriana Lecouvreur, I due Foscari, La Cenerentola et Le nozze di Figaro] et Robert Lewis l’Abbé de Chazeuil, une voix jeune et élégante qui change des habituels ténors de caractère distribués dans le rôle [lire nos chroniques de Tannhäuser et d’Hérodiade]. Pour incarner les pensionnaires du Théâtre Français qui interviennent épisodiquement aux actes I et IV et complètent avantageusement la distribution : Giulia Scopelliti (Mademoiselle Jouvenot), Thandiswa Mpongwana (Mademoiselle Dangeville), Léo Vermot-Desroches (Poisson), Pete Thanapat (Quinault).

IF