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Chroniques
Francisco António de Almeida | Ippolito
Laurence Cummings dirige l’Orquestra Barocca Casa da Música
À l’origine, il y a une sérénade à six voix du compositeur portugais Francisco António de Almeida (vers 1702-1755), partition créée à Lisbonne en 1752, l’une des rares œuvres dont le manuscrit a échappé au fameux tremblement de terre qui frapperait la ville trois ans plus tard. À l’arrivée, il y a la délocalisation à Lyon du concert que le Festival d’Ambronay désirait en donner dans son cadre habituel, celui de la superbe Abbatial de l’Ain.
La raison : le livret d’Antonio Tedeschi, basé avant tout sur Phèdre, la tragédie de Sénèque, et reprenant l'histoire racontée par Ovide dans sesMétamorphoses, histoire qui, pour n’avoir pas choqué les oreilles de la cour portugaise du XVIIIe siècle, hérissa celles du révérant curé de l’actuelle paroisse d’Ambronay, bien que (comme tout le monde le sait) la déclaration d’amour de Phèdre à son beau-fils, le bel Hippolyte, ne s’ensuive d’aucun développement charnel, puisque ce dernier, par respect du père et obéissance filiale, la rejette avec horreur. On ne peut pas trouver plus chaste !
C’est donc dans le Grand Temple de Lyon qu’il fallut convoyer ce concert, lieu qui, venant de connaître une restauration complète, abrite volontiers (et par tradition) la musique – et lieu, surtout, où un tel sujet n’a point incommodé les ministres du culte protestant qui en ont la charge.
Première remarque : l’œuvre s’éloigne assez du genre de l’opera seria alorsde mise, puisqu’elle est destinée à (seulement) six voix du registre aigu, sans aucune composante chorale. Au départ, il s’agissait de quatre castrats et deux ténors. À l’époque où l’on a redécouvert le chant des haute-contres et des contre-ténors, il aurait été logique de leur confier ces quatre rôles. Le monde lyrique ne manque désormais plus de ces voix ! Cette production, déjà donnée au Festival de Sablé il y a quelques semaines, préfère recourir à un seul contre-ténor face à trois sopranos féminins, ce qui déplace la vocalité originelle. Soit… Seulement voilà, les volutes, les mélismes, les ornements qui scellent cet art vocal si spécifique, sont bien souvent gommés par un chant essentiellement tourné vers la note tenue, voire la note tendue, pour ne pas dire la note durcie, où le décibel fait figure de finalité. Ainsi, trop souvent, celui d’Ana Quintans dans le rôle éponyme et surtout celui, férocement acidulé, d’Eduarda Melo (Phèdre). La Lesbia musicale de Sónia Grané, le Teseo solide et valeureux du ténor Roberto Ortíz, le Creonte subtil et expressif du contre-ténor Christopher Lowrey sont beaucoup mieux en situation, assez loin du Neptune vociférant de Daniel Auchincloss, ténor présenté comme haute-contre.
L’écoute de ce (long) concert laisse s’imposer une question : un chef – un « vrai » – ne manque-t-il pas à ces artistes, souvent jeunes ? Un chef qui soit présent, attentif, réceptif, indiquant un départ, soulignant un effet, précisant un trait, etc. Le moins qu’on puisse dire est que Laurence Cummings n’assume ce rôle qu’à dose homéopathique. Dos tourné aux solistes, corps vissé au tabouret, levant un bras çà et là, le second ne décollant pratiquement pas du clavecin, ce maestro minimaliste n’insuffle quasiment rien aux solistes et pas grand-chose aux musiciens, au demeurant fort méritants, de l’Orquestra Barocca Casa da Música. Du moins dirige-t-il le continuo ? Même pas, un autre claveciniste d’en charge !
Pour ne rien arranger, l’on ne peut vraiment pas dire que la pseudo « mise en espace » commise par Martin Parr arrange les choses. Avec tissus, fanfreluches et colifichets, elle encombre la scène et mobilise trop ces solistes dont il fallait stimuler et catalyser la vocalité. Pauvre Almeida.
GC