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Chroniques
Franck Braley et Les Pléïades
Bach, Chostakovitch et Mozart
Depuis une bonne dizaine d’années, l’on entend le pianiste Franck Braley dans des répertoires diversifié, en récital seul, en concert chambriste ou en soliste de concerti. Ce soir, les Fêtes musicales de Corbigny accueillent sa première apparition en tant que chef, sur une idée que l’on doit à Anne Girard. On aura compris qu’il s’agit là d’une soirée particulière, le ciel lui-même partageant les tensions d’une première, en tout cas les traduisant peut-être, puisque plusieurs grondements menacent dès l’après-midi, si bien qu’il faut déplacer le concert de la Cour de l’Abbaye à la charmante église Saint-Seine – édifice bénédictin du XIIe siècle reconstruit après les guerres de religion, et largement remanié au début du XIXe, après les mauvais traitements subis pendant la Révolution.
C’est le Concerto en fa mineur BWV 1056 de Bach qui ouvre les festivités. Ainsi observe-t-on les premiers gestes d’un chef discret, parfaitement lisible, préférant la sobriété des indications à certains effets visuels souvent inutiles. Indéniablement, les musiciens de l’ensemble Les Pléiades en comprennent les inflexions, les regards, la respiration. On constate un Serioso un peu lourd, peut-être parce qu’il est rassurant de s’accrocher au tactus, un Largo magnifiquement étiré, avec des ornements cependant encore raides, et un Presto d’une belle tenue. La partie d’orchestre a été travaillée avec précision et de vrais choix musicaux.
Nous entendons ensuite la Symphonie de chambre Op.110a de Chostakovitch, en fait une transcription de son fameux Quatuor à cordes en ut mineur Op.110 n°8 que l’on doit à Rudolf Barshaï, et sans doute une des plus pages les plus saisissantes de l’auteur, avec les Quatuors n°5 et n°13, les Symphonies n°5, n°10 et n°14, et la douloureuse Sonate pour alto et piano Op.147. L’interprétation se révèle particulièrement contrastée, Franck Braley accentuant le caractère tragique de l’œuvre en précipitant la terrible ponctuation f sur les notes tenues jusqu’à obtenir un muscle effrayant, comme déréglé, où l’on pourrait projeter l’expression d’un désarroi et d’une colère inerte par obligation face au contexte historique de l’écriture de cette pièce. Les soli de violon et de violoncelle déchirent dans une déroutante simplicité. Au pupitre, sans clavier cette fois, il affirme une gestique qu’on ne connaît à personne d’autre, et d’une grande efficacité. L’importance de la phrase s’y fait évidente, pour une version sensible, sans théâtre.
Enfin, c’est avec Mozart et le Concerto en la majeur K.488 n°23 que se termine ce concert. Il n’est pas si facile de diriger l’œuvre de Mozart, comme on dut le rappeler tout dernièrement à l’occasion d’une certaine prestation à Colmar [lire notre chronique du 9 juillet 2003]. Dès l’Allegro initial, on goûte le relief discret offert à l’arrivée de chaque thème et, au piano, un travail raffiné de sonorité et de couleur, d’une grande unité. Les appogiatures sont à peine « mouillées », la phrase toujours portée dans une légèreté mélancolique. Si l’on trouvait un peu brutaux les aigus du piano dans Bach, le pianiste, plus détendu et peut-être inconsciemment attentif à l’acoustique de l’église, leur donne cette fois une tendresse moelleuse. La quasi forlane du deuxième mouvement en devient presque schumanienne. Enfin, la jubilation de l’Allegro assai demeure contenue dans une dignité un rien hautaine, celle d’un Mozart plus grave que d’habitude.
BB