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Chroniques
Frankenstein
spectacle de la Compagnie Karyatides
La vie de Mary Shelley (1797-1851) est marquée par l’écriture et par la mort. Fille d’une philosophe féministe et d’un écrivain politique, la Londonienne entame une liaison adultère avec Percy Bysshe Shelley, auquel elle peut s’unir officiellement (1816) lorsque la première épouse du poète se suicide par noyade à Hyde Park. Plusieurs enfants du couple meurent en bas âge, avant que Percy ne disparaisse à son tour (1822), au cours d’une tempête dans le golfe de La Spezia (Italie). L’auteure décède d’une tumeur au cerveau, laissant divers travaux (romans, biographies, récits de voyage, etc.) parmi lesquels celui qui assure sa notoriété : Frankenstein; or, The Modern Prometheus (Frankenstein ou Le Prométhée moderne), paru de façon anonyme le 1er janvier 1818.
Durant l’été précédent, assez pluvieux pour les forcer au confinement, des amis sont réunis en Suisse : Mary et Percy, Lord Byron et sa compagne, ainsi qu’un jeune médecin, John William Polidori, auteur d’une thèse sur le somnambulisme. En plus d’évoquer le galvanisme et les idées d’Erasmus Darwin (1731-1802), futur grand-père de Charles, que ses observations scientifiques font douter du créationnisme régnant, on lit des histoires de fantômes allemandes. L’idée germe alors d’écrire chacun une histoire du même genre, défi dont sortirait la nouvelle The Vampyre (1819), publiée par Polidori avant son suicide au cyanure (1821) [lire notre chronique de l’opéra de Marschner, Der Vampyr], et le roman épistolaire que la Compagnie Karyatides adapte pour la scène, en l’actualisant à l’attention d’un public âgé d’au moins dix ans.
Dictaphone en main, Victor Frankenstein prévient la jeune génération de ne pas s’approcher du feu. Il évoque sa mère cantatrice souffrant de cardiomyopathie, la tombe d’un oncle qu’il souhaite observer à la nuit avec sa sœur adoptive Elisabeth, etc. C’est que les mystères de l’âme l’intéressent : celle d’un poisson qui s’asphyxie ou celle d’un mammifère qu’il veut soigner par la greffe de tissu sain. Victor quitte alors sa petite vallée pour étudier à Ingolstadt où ses recherches sur les cellules souches vont agiter la communauté scientifique. Il s’interroge : l’ADN permet-il de retrouver l’esprit du vivant ? Un être monstrueux finit par naître d’une nouvelle expérience, lequel souffre du rejet qu’il provoque, surtout chez son créateur. Il entraîne donc Elisabeth à la mort, par vengeance. Prométhée mégalomane, Victor délivre un dernier message : approchez-vous du feu.
Au service d’une esthétique du brut et du dépouillé, la metteure en scène Karine Birgé se fait comédienne, ce soir, aux côtés de Cyril Briant. Tous deux manipulent marionnettes et objets chinés aux Puces, se distribuant les personnages sans souci de genre, pour nous faire sourire et trembler. La mère est incarnée par Julie Mossay, laquelle remplace au pied levé les deux artistes prévues en alternance dans ce rôle muet, mais chantant [lire nos chroniques de L’elisir d’amore, Le nozze di Figaro, Carmen et Don Quichotte]. Vivante ou fantôme, elle entonne Verdi (Nell orror di notte oscura, Non t'accostare all'urna), Tosti (Ideale), Pärt (Vater Unser), ou encore des extraits du Stabat Mater de Poulenc (Vidit suum) et du Nisi Dominus de Vivaldi (Cum dederit). Lorsqu’il faut égayer le mariage d’Elisabeth avec Victor, le soprano abandonne puissance et long souffle pour fredonner des airs écrits pour Céline Dion (Pour que tu m’aimes encore) et Lori Lieberman (Killing me softly with his Song).
En fond de scène, dos au public, Kevin Navas joue d’un piano droit. Il accompagne la chanteuse et livre sans elle des pages empruntées à Saint-Saëns (Aquarium), Rachmaninov (L’île des morts) et Messiaen (Vingt regards sur l’Enfant-Jésus) – parfois de concert avec les créations sonores de Guillaume Istace. Le mariage évoqué plus haut est l’occasion de faire entendre l’inévitable Mendelssohn (Marche nuptiale, extraite d’Ein Sommernachtstraum), mais aussi une série de tubes (Besame mucho, La danse des canards, thème de Darth Vader, etc.), connus de tous… pour le meilleur comme pour le pire !
LB