Chroniques

par bertrand bolognesi

Franz Schubert | Der Winterreise D.911
Gilles Ragon et Jean-Louis Haguenauer

La Péniche Opéra, Paris
- 5 mars 2009
le ténor Gilles Ragon chante Winterreise à La Péniche Opéra
© emmanuelle franc

Dans une saison musicale, il est des rendez-vous plus étonnants que d’autres, de ces rendez-vous à la fois inventifs et risqués qui nécessitent une certaine autonomie des artistes et une endurance particulière. Le Coup de cœur que La Péniche Opéra dédie au ténor Gilles Ragon et au pianiste Jean-Louis Haguenauer est de ceux-là, dans un parcours 2008/2009 qui voit le chanteur multiplier les prises de rôles au fil d’une actualité sans relâche. Offrir une carte blanche à des artistes peut induire des réalisations diverses. Le choix des protagonistes de ces quatre journées sur l’Adélaïde est à comprendre comme une invitation dans leur univers musical.

Ainsi de Qui a chipé la clef des chants, conte pour enfants de Colette Lebourhis où Gilles Ragon dialoguera samedi et dimanche avec le chien Fido à travers des mélodies de Rosenthal, Sager et Poulenc ; ainsi du programme français de vendredi, un récital autour des poètes magnifiés par Debussy, Duparc, Fauré, Poulenc et Ravel ; ainsi de Winterreise, le cycle de Schubert que les complices de ce soir approfondissent depuis plusieurs années déjà.

Dès l’abord, ce Voyage d’hiver s’impose comme une ballade sans cesse en mouvement, l’introspection parfois névrotique s’y trouvant véhiculée par un enthousiasme étonnant. Rien de triste, donc, dans cette conception, mais au contraire une terrible santé. Les médecins de campagne de nos aïeuls avançaient volontiers que, dans la lutte contre la maladie, un organisme fort souffrirait plus qu’un faible. Il y a quelque chose de cette idée-là dans l’interprétation éminemment romantique de ce soir. La palette expressive se déploie au fil du cycle dont quelques moments perdurent, de la tendresse accordée à la fragile incursion en la majeur de Gute Nacht (« ...Will dich im Traum nicht stören, wär Schad um deine Ruh… ») à un Gefrorne Tränen quasi choral, tout en douceur, un Irrlicht halluciné, le legato tant judicieux qu’inattendu de Die Krähe, jusqu’au nauséeux retour des ritournelles, tragiquement dérisoires, et un lapidaire Leiermann à la décapante nudité.

Fidèle à la lettre autant qu’à l’esprit, sur un Pleyel des années trente au timbre à la fois clair et coloré, à mi-chemin entre le pianoforte et le quatuor à cordes (très net dans Wasserflut, notamment), Jean-Louis Haguenauer dessine délicatement chaque paysage intérieur.

BB