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Chroniques
Franz Schubert | Der Winterreise D.911
Edwin Crossley-Mercer et Semjon Skigin
Surenchère au programme unique défendu ce jour à midi trente, les touristes sous leur parapluie devant le Musée d’Orsay remettent involontairement en mémoire quelques lignes tracées par Julien Gracq à une époque où il s'éloigne de la fiction pour raconter le réel ; avec la crudité d'un diariste romantique, pour ainsi dire, l'écrivain relate comment les mots voyage d'hiver viennent charmer son esprit, tandis que défile le paysage derrière la vitre d'un train de banlieue :
« Mot magique, toujours lié pour moi, pour je ne sais quelle raison, à l'Allemagne, toujours préféré sous sa forme germanique de Winterreise. La neige fondait, ne laissait plus au creux des labours que des lignes blanches sinueuses et discontinues comme des lignes d'écriture, les lointains à trois cents mètres se perdaient dans l'air gris du dégel. (…) On va de foyer en foyer au travers de la terre morte et recueillie, l'âme attiédie déjà par le dégel tendre de l'étape, comme un nomade de point d'eau en point d'eau » (in Lettrines 2, José Corti, 1974).
Pas encore trentenaire, Edwin Crossley-Mercer aborde avec bien des atouts le cycle empreint d'errance et de solitude écrit par Schubert dans les derniers mois de sa vie : une familiarité avec la langue allemande (il a chanté Weber, Lehár et Busoni à Berlin), ainsi que les conseils d'interprétation de Dietrich Fischer-Dieskau, Thomas Quasthoff, Júlia Várady, etc.
Certains détails agacent, tout d'abord, comme ce chant tête baissée qui semble destiné aux seuls micros de France Musique, accompagné de gestes redondants. Mais force est de constater que le baryton allie intelligence du texte et puissance d'émission. Cette dernière s'assagit au profit de climats et d'expressions variés – Auf dem Flusse d'une grande retenue, Rückblick commencé dans la lassitude, Rast finissant avec trivialité, Die Krähe comme suspendu, Muth ! percutant, etc.
Qualité ultime du jeune artiste : la présence de Semjon Skigin. Le pianiste russe apparaît tranquille, presque tendre (Gute Nacht), et s'il exprime certains tourments (Erstarrung), il ne renonce pas au sautillement (Gefrorne Tränen), voire à la danse (Frühlingstraum). Rigoureux et plein d'élégance, son jeu sublime encore les trois bis offerts : Romance de Debussy d'une grande tendresse où la ligne de chant s'avère magnifique, Clair de lune de Fauré, empli de douceur, ainsi qu'Élégie de Massenet, un rien trop théâtral.
LB