Chroniques

par bertrand bolognesi

Gérard Grisey | Le noir de l’étoile
Jean-Pierre Luminet, Les Percussions de Strasbourg

Festival Messiaen au Pays de La Meije / Jardin alpin du Lautaret
- 28 juillet 2023
Sous le ciel du Lauteret, à 2058m, "Le noir de l'étoile" de Gérard Grisey
© bruno moussier

Quelle incroyable aventure !!! Après une première prise de contact par lettre avec l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet, Gérard Grisey travaillait en étroite collaboration avec ce dernier pour mener à bien un projet concernant les étoiles, leur mort et les signaux par lesquels elles nous sont signalées par radiotélescope avec un décalage de quelques millions d’années. Initialement conçu comme un rendez-vous exact avec le ciel, puisque l’horaire de début de concert était calculé afin que le temps d’exécution coïncide avec l’arrivée en direct du signal de deux pulsars, Le noir de l’étoile est désormais donné avec l’enregistrement de ceux-ci. Certes, une excitation de l’événement est perdue, mais de quel événement s’agit-il vraiment puisque, de toute façon, ces quelques millions d’années nous en sépare, comme l’a si clairement exprimé Luminet ce matin, lors de la passionnante conférence qu’il prononçait au Jardin alpin du Lautaret. Bruno Messina, le directeur du Festival Messiaen au Pays de La Meije dont l’édition 2023 est consacrée aux compositeurs spectraux [lire notre chronique de la veille], a imaginé d’inviter Les Percussions de Strasbourg pour jouer l’œuvre, ce qui déjà est une bonne idée, mais encore de les jucher au col, avec le public, à environ 2058m d’altitude – voilà qui confère au génie !

Tout ce vendredi, l’enthousiasme, immense, l’a disputé au doute, dans la crainte qu’une soudaine crise de mauvais temps, en cette période d’orages, vînt gâcher un moment promis comme magique. Tout autour d’un parterre de chaises, les postes de percussion sont installés sur une esplanade herbeuse où, il n’y a pas si longtemps, siégeait une cabane, démontée pour l’occasion. Le lieu, où serpentent une armada de câbles, est sagement protégé et gardienné afin que nul ne s’écarte des sentes sûres. Lorsque des masses ténébreuses se concentrent sur La Grave vers 18h, il ne semble point si certain que le concert ait réellement lieu. Le temps du dîner, de salutaires bourrasques chassent ces menaces, si bien que nous nous installons, vers 20h40, au Lautaret, sous un ciel dégagé où bientôt scintillera la Casserole. Avec un retard d’une dizaine de minutes, les musiciens se lancent dans ce formidable voyage du Noir de l’étoile, une partition essentielle de la fin du XXe siècle qui révèle des qualités nouvelles dans le contexte inouï de cette soirée.

Outre l’excellence des percussionnistes et l’audace d’une telle initiative, menée à si belle hauteur et par une température de cinq degrés au maximum – encore recroquevillés dans des plaids, les spectateurs oublient le froid dès que commence la musique, on voit les silhouettes se détendre, les dos retrouver leur déploiement –, l’encerclement de l’assemblée et le jeu de répons invasifs d’un poste l’autre fascinent une heure durant. Lorsque le second pulsar survient, vers le début du quatrième quart de l’œuvre, Dame Lune surgit d’une crête, comme un effet calculé, commandé, voire budgété. Le ciel est doublement complice – pour la météo et quant à cette apparition. Tout est affaire de dimension : l’astre signe la belle démesure de l’œuvre comme celle du projet ici réalisé.

Pourra-t-on désormais entendre à nouveau Le noir de l’étoile de même façon ? La réponse est non, assurément. Où que l’on se trouvera, c’est forcément en rêvant au soir du 28 juillet 2023 qu’on l’écoutera. Le sentiment qui s’ensuit, lorsqu’on se retrouve à partager un vin chaud après la musique, est d’être privilégié, car sans doute de telles conditions ne seront plus réunies pour redire l’événement. Il est vingt-trois heures, les étoiles percent une nuit bien installée, tandis que s’annonce le temps des songes.

BB