Chroniques

par bertrand bolognesi

Gérard Grisey | Les espaces acoustiques
Orchestre du Conservatoire de Paris

Ensemble Intercontemporain, Pierre-André Valade
Cité de la musique, Paris
- 20 novembre 2003

Une quinzaine après que L’Itinéraire ait fêté ses trente ans à la Maison Ronde, l’Ensemble Intercontemporain donne l’intégralité du cycle Les espaces acoustiques dont les premières lignes furent écrites par Gérard Grisey durant les premiers pas d’une association qui servirait ce qu’Hugues Dufourt désignera musique spectrale. Il est régulièrement proposé au public d’entendre une pièce extraite du grand ensemble, le plus souvent Modulations ou Périodes, mais il est encore rare d’entendre les six morceaux enchaînés. La dernière fois qu’il fut loisible d’apprécier entièrement Les espaces acoustiques, c’était à Strasbourg, il y a sept ans : Musica proposait dans un concert de l’Orchestre de l’Opéra de Francfort les trois pièces terminales en soirée, alors que les trois premières avaient été jouées l’après-midi par Court-circuit et Pierre-André Valade qui dirige la version d’aujourd’hui, inaugurant la thématique des Champs acoustiques dans laquelle la Cité de la musique réunit quatre concerts prestigieux.

Christophe Desjardin entame la grand’messe avec le Prologue pour alto solo (joué par cœur, s’il vous plait), ainsi qu’il l’avait fait entendre à Strasbourg début octobre [lire notre chronique du 28 septembre 2003], lui seul éclairé d’un halo jaunâtre alors que l’ensemble reste tapi dans l’obscurité. Grisey, qui avait amplement décrit les buts de sa démarche compositionnelle et s’était volontiers expliqué sur l’aspect théâtral inévitable du concert (auprès de Guy Long), n’aurait certes pas désavoué un tel dispositif. Périodes se fond dans un grand mystère à la sonorité mourante de l’alto, pour tout naturellement faire place à l’expérimental Partiels qui joue avec les harmoniques et les bruits d’habitude involontaires, ici provoqués jusqu’à obliger le public à ne pas se laisser perturber par la toux du voisin. Le but est parfaitement atteint : chacun est absorbé dans une écoute concentrée, si bien que lorsque le percussionniste suspend le geste, il n’est qu’une envie : se plonger dans Modulations.

Après la lecture précise de la pièce soliste et des deux pans chambristes de l’édifice, l’Orchestre du Conservatoire de Paris, guidé par quelques instrumentistes de l’EIC en chef de pupitres, envahit le plateau Modulations, Transitoires et surtout Épilogues enveloppent l’auditorium d’une fête sonore extraordinaire à l’énergie débordante. En 1996, Sylvain Cambreling avait, quant à lui, dirigé une version plutôt pâle de ces pages, alors qu’on jouit ici d’un déploiement riche et généreux de timbres, d’alliages, de rythmes, de sons. Les forces vices des jeunes gens du Conservatoire sont utilisées au mieux, Pierre-André Valade se montrant parfait modérateur.

BB