Chroniques

par katy oberlé

Götterdämmerung | Crépuscule des dieux
opéra de Richard Wagner

Deutsche Staatsoper Unter den Linden, Berlin
- 6 novembre 2022
Dmitri Tcherniakov met en scène GÖTTERDÄMMERUNG à Berlin
© monika rittershaus

Un plateau d’exception vient couronner le nouveau Ring de la Deutsche Staatsoper de Berlin, en sa dernière journée. La fraîcheur renouvelée des Rheintöchter bénéficie des prestations excitantes d’Evelin Novak, Natalia Skrycka et Anna Lapkovskaja, de même que Noa Beinart, Kristina Stanek et Anna Samuil servent superbement le trio des Nornen. On retrouve la pâte généreuse d’Anna Kissjudit, un bonheur pur dans la partie d’Erda ! Le grand travail de nuance de Johannes Martin Kränzle et l’autorité de sa déclamation conduisent vers le sommet son incarnation d’Alberich [lire nos chroniques de Dionysos, Der Ring des Nibelungen, A village Romeo and Juliet et Die Meistersinger von Nürnberg]. Belle surprise, encore, que la Waltraute enveloppante de Violeta Urmana – on ne l’attendait pas dans le répertoire allemand –, somptueusement phrasée [lire nos chroniques de La mort de Cléopâtre, La forza del destino, Macbet, Cavalleria rusticana, La Gioconda, Aida, Don Carlo, Œdipe et Elektra]. Le timbre lumineux de Mandy Fredrich est idéal en Gutrune, et la chanteuse-actrice apporte au rôle une dimension intéressante [lire nos chroniques de Die Zauberflöte et de Mosè in Egitto]. Soyeux, le chant subtil du baryton Lauri Vasar charme immédiatement en Gunther d’une évidente humanité [lire nos chroniques de Tannhäuser, Il prigioniero, Capriccio, Billy Budd, War Requiem, enfin de Lear à Hambourg, Paris et Salzbourg].

Quant aux trois monstres de l’affaire, les voilà dûment distribués ! Le très endurant Andreas Schager déploie une puissance renversante qui semble ne rien lui coûter. Son Siegfried permet donc à la fosse de s’exprimer plus librement qu’elle le ferait avec un autre ténor. La scène de la forêt est l’occasion d’une halte dans la performance sonore, et fait apprécier un grand musicien [lire nos chroniques de Götterdämmerung, Gurrelieder, Daphne, Das Lied von der Erde, Die ägyptische Helena, puis de Siegfried à Madrid et à Bayreuth]. On le vit en Fasolt, puis en Hunding, et la voici endossant le noir dessein d’Hagen : l’excellent Mika Kares prête au vengeur une basse imposante, à la fois massive et très lyrique, qui domine le plateau [lire nos chroniques de Der fliegende Holländer, Amleto, La favorite, La bohème, Simon Boccanegra, Agrippina et Le château de Barbe-Bleue]. Le soprano Anja Kampe poursuit sa quête de Brünnhilde avec intelligence, ne cherchant pas à faire valoir d’autres qualités que les siennes. Le chant est expressif, un peu cérébral par endroits, mais toujours touchant [lire nos chroniques de Der fliegende Holländer à Munich et à Milan, Fidelio à Baden Baden et à Munich, Parsifal à Barcelone, Berlin, Vienne et Paris, Die Gezeichneten, enfin de Die Walküre à Paris, Bayreuth et Budapest]. L’ultime adieu est remarquablement mené.

La maladie neurologique de Daniel Barenboim n’a pas permis qu’il vînt diriger le Ring qu’il avait organisé pour son quatre-vingtième anniversaire. Il est revenu à Christian Thielemann de tenir la baguette au pupitre de la Staatskapelle Berlin sur la totalité de ce cycle. En engageant ce grand chef wagnérien [lire nos chroniques de Rienzi, Parsifal, Der fliegende Holländer, Tristan und Isolde, Lohengrin à Dresde et à Bayreuth, enfin Die Meistersinger von Nürnberg] et patron du Bayreuther Festspiele, l’institution ne prenait pas de risque, ce que confirmèrent les soirées précédentes [lire nos chroniques de Das Rheingold, Die Walküre et Siegfried]. Tout en se révélant, une fois de plus, un véritable chef-chanteur, Thielemann surpasse ses propres enregistrements de l’œuvre – avec le Festival de Bayreuth (Opus Arte, 2009) puis avec la Wiener Staatsoper (Deutsche Grammophon, 2013), livrant des interludes au grand souffle et soignés dans chaque trait. La lenteur qu’il a choisi pour ce Crépuscule des dieux a pu surprendre, car elle n’est pas au goût du jour. Pourtant, elle permet de profiter pleinement d’une partition qui raconte à elle seule tout le mythe, et cela, c’est un avantage considérable. La richesse de la texture générale, le soin apporté au voyage des thèmes, l’extrême noirceur du climat global tiennent en haleine jusqu’à une terrible fin du monde.

Le risque de l’entreprise résidait ailleurs, et le lecteur qui suit notre feuilleton aura bien compris où. Les options scéniques de Dmitri Tcherniakov purent tenir, quoique difficilement, jusqu’à la dernière note de Siegfried, même au prix d’une relative exaspération du public et de la critique. Elles ne tiennent plus du tout dans Götterdämmerung où elles font uniquement figures de contorsions. Le centre de recherches comportementales E.S.C.H.E court à sa perte – et alors ? Son équipe de cadres favorise des échanges sportifs hors des bureau – soit. C’est lors d’une partie de basket-ball que Siegfried est tué par Hagen – mettons… Et qu’en est-il de l’anneau, le fameux anneau ? Peu importe, ce n’est pas le sujet du metteur en scène qui s’emploie clairement à raconter autre chose, sans s’encombrer de la mythologie wagnérienne. Lui fallait-il donc accepter de réaliser un Ring ? La question reste ouverte.

KO