Chroniques

par katy oberlé

Götterdämmerung | Crépuscule des dieux
opéra de Richard Wagner

Opera North / Royal Festival Hall, Londres
- 3 juillet 2016
fin du cycle wagnérien de Peter Mumford, en semi-scénique
© clive barda

En toute logique, la semaine londonienne s’achève avec Götterdämmerung, troisième et dernière journée du Ring des Nibelung suivi au Royal Festival Hall dans la version semi-scénique de Peter Momford pour Opera North qui, finalement, occasionne une immersion sensible dans l’atelier de Richard Wagner : débarrassé des questionnements (souvent intéressants, certes) des metteurs en scènes, voilà le mélomane plongé dans la musique et la philosophie, avec, pour tout théâtre, l’expérience de chanteurs plus ou moins charismatiques. N’ergotons pas sur la réussite de cette expérience : quand ne lassent pas les quarante minutes du prologue, enchaînées aux quatre-vingt du premier acte, quand le public ne dandine pas le derrière dans le fauteuil, pliant dépliant repliant des jambons à mesure qu’avancent les deux heures qui précèdent l’entracte, tout va pour le mieux, non ?

Bien que la performance vocale d’aujourd’hui se situe clairement d’un niveau comparable à celle de la Walkyrie qui enchantait mercredi [lire notre chronique du 29 juin 2016], le grand triomphateur de l’ultime épisode de la légende est sans conteste l’Orchestra of Opera North, fabuleusement investi dans une interprétation palpitante. Prudent pour Rheingold [lire notre chronique du 28 juin 2016], le chef britannique Richard Farnes s’était révélé magnifiquement dramatique dans la lutte si théâtrale entre le fils du loup et le rejeton de la lignée des chiens ; et si sa lecture de Siegfried n’a pas déçu [lire notre chronique du 1er juillet 2016], la signature qu’il impose à Götterdämmerung est absolument géniale de tension, dans un dessin remarquable pour ce qu’il respire d’intelligence métaphysique. Toujours l’ouvrage surprend par la densité chorale retrouvée : les voix masculines du Chorus of Opera North satisfont haut la main, formant un front impressionnant devant les écrans. Sous cette baguette perspicace, le bûcher des amants emporte l’absurdité de l’ordre divin dans un néant si précisément destructeur qu’il fait frémir.

Bon plateau de solistes, disais-je. Comme pressentie, Heather Shipp offre une Waltraute bouleversante, qui rend captivante sa tentative de persuader Brünnhilde de rendre au Rhin l’anneau maudit. Rheintöchter et Nornes fascinent par une efficacité indiscutable. Avec le timbre noir du Suédois Jo Pohlheim, l’apparition d’Alberich sort vraiment d’outre-tombe pour hanter Hagen. Freia dont nous applaudissions le chant subtil, Giselle Allen livre cette fois une Gutrune à voix soyeuse, qui donne la réplique au baryton formidablement déployé d’Andrew Foster-Williams, plein de passion.

De nos jours, il n’est plus courant qu’une même artiste tienne l’écrasant rôle de Brünnhilde sur l’intégralité du cycle. Eh bien, non contente de relever ce défi, Kelly Cae Hogan le transcende d’une santé prodigieuse et d’une conduite exemplaire du chant. Son héroïne trompée s’orne de nuances choisies, colorant tour à tour la voix des divers états d’âme qui la révoltent – juste sublime, l’immolation. Un véritable Heldentenor lui fait face, en la personne de Mati Turi, Siegfried aussi bien chantant que sympathique. En pleine possession de ses moyens, à quarante-huit ans l’Estonien entre dans la maturité de sa voix : c’est maintenant qu’il faut l’entendre, et si les petits cochons ne le mangent pas, nous en profiterons une belle dizaine d’années, sûr.

Enfin, nous retrouvons le bon Fafner de Rheingold, dragon grincheux dans Siegfried, ici méchant Hagen à l’instrument noir d’encre, personnage déterminé jusqu’au crime : l’indélébile Mats Almgren fait grand effet, une fois encore. Comme admirant celle de la bourse après les résultats du référendum, ce 24 juin, une tornade de corbeaux surplombe la chute du Walhalla…

KO