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Gabrielli Consort and Players, Paul McCreesh
Georg Friedrich Händel | Solomon, oratorio (HWV 67)
Toujours dans le cadre du Triomphe de Händel, magnifique initiative de Château de Versailles Spectacles qui propose un vaste panorama de la production du Grand Saxon dans les lieux prestigieux offerts par le site, nous entendons ce soir Solomon HWV 67, vingt-troisième des oratorii du maître et quinzième de sa grande veine oratoriste anglaise qui, en 1749, compte déjà les superbes Esther, Israel in Egypt, Saul, sans oublier le célébrissime Messiah (1741). De fait, ces ouvrages sont également joués ici, à la Chapelle Royale, Solomon venant couronner la partie sacrée de ce festival, avant de retrouver Messiah durant l’ultime semaine (rappelons que cette fête a commencé au tout début du mois).
Au tournant des années 1740, les nouvelles tendances du goût londonien comme des contingences économiques inattendues orientèrent l’inspiration de Händel vers l’oratorio, un genre où il s’illustra par le passé, et notamment lors de la période italienne, auquel il revient en explosant littéralement ses proportions. Naissent alors les grands opus que l’on sait, et une manière qui, par l’usage qu’elle fait de la langue anglaise, encore inhabituelle, et d’une masse chorale démultipliée tourne une page décisive dans la production händélienne. Autre tournure, autre public, autre postérité, pourrait-on résumer, jusqu’en des partitions à venir, assurément héritières, et dont, tout au long du siècle suivant, la floraison absorberait même l’influence wagnérienne (Elgar, The Dream of Gerontius, 1900).
Grand habitué des oratorii de Händel [tel Saul – lire notre critique du CD], Paul McCreesh livre une lecture majestueuse de Solomon, sous les voûtes de la Chapelle Royale dont l’opulente acoustique vient surenchérir l’impact des parties chorales. Plutôt que de situer son approche dans une mouvance qui réduit les effectifs, McCreesh, tout comme Hervé Niquet le fit pour la Royal Firework Music ces dernières années, s’ingénie à restituer la démesure et le choc qu’elle put susciter en son temps. À la tête de ses Gabrieli Consort and Players, il s’attelle à révéler le relief de l’œuvre dont il soigne minutieusement les aspects sages comme les envolées plus audacieuses. Ainsi l’Ouverture, pour demeurer relativement raisonnable, donne-t-elle naissance à un chœur d’une densité surprenante. Après une fin de première partie dans un grand calme choral, la deuxième surgit dans la pompe des cuivres, typiquement händélienne, sur laquelle se greffe un chœur monumental. Redoutablement architecturée, la fugue prend ici une inflexion d’une fluidité inouïe. Et s’il soutient très précisément les enjeux plus dramatiques, voire théâtraux (Thy sentence, great king, is prudent and wise, air de fureur jalouse et meurtrière), de l’épisode médian, encore colore-t-il délicatement la pastorale finale. Au troisième « acte » il accorde une dimension festive phénoménale, où se remarque un solo de hautbois parfaitement tenu. Dans l’air « de bataille » – dont l’écho, ici à Versailles, est tout particulier ; d’ailleurs, rien de plus « normal » que d’y donner une œuvre qui n’a de cesse de louer Dieu et le roi ! –, le chœur précipite idéalement son obstination jusqu’au « bruit de guerre », contredit par le soyeux frémissement de cordes qui introduit l’air Thrice happy king (Zadok). Encore joue-t-il adroitement des leurres de la partition, donnant à Praise the Lord with harp and tongue les fastes d’un grand chœur final alors qu’elle s’achève plus tard dans la brève ponctuation chorale d’un duo plus intime. Cet art, inimitable, qu’avait Händel de tenir l’écoute en haleine, McCreesh l’a pleinement fait sien.
Entre instrumentistes, choristes et chef, la complicité est extrême. Aussi l’est-elle avec les cinq solistes (pour sept rôles). Le soprano Sarah Tynan s’avère un peu terne dans la première partie où elle incarne la Reine sans brio. Elle se trouve plus à son aise en première Femme, la mère véritable de l’enfant revendiqué en procès. Sans doute le registre lui convient-il mieux. Gillian Webster campe une convaincante rivale en maternité, pourrait-on dire. Là encore, Händel a tissé un suspens passionnant, ne laissant deviner la vérité chez aucune, de sorte qu’explose sans crier gare l’air de folle jalousie assassine cité plus haut (c’est l’objet de l’amour qu’elle dérobe et qu’à défaut de pouvoir garder elle préfère voir mort plutôt qu’à le laisser aux soins d’une autre). À cette voix d’une chaude richesse expressive est également confiée la partie de la Reine de Saba qu’elle sert d’une couleur, d’un grain, d’un corps vocal agile et nuancé, séduisant voire séducteur. Un art admirable du phrasé fait merveille dans l’air des adieux, Will the sun forget to streak.
Les trois rôles masculins sont heureusement distribués. On retrouve Peter Harvey et son chant souple, son grain corsé, ses attaques aiguës d’une ferme élégance, dans celui du Lévite. Son Thrice bless’d (II) le montre plus qu’habile dans des postes et volutes rebondissantes. Descendant d’Elazar, fils d’Aaron, la figure de Zadok, prêtre de David puis de Solomon, fut déjà convoquée par Händel en 1727 pour l’hymne de couronnement (Coronation Anthem)qu’il composa pour l’avènement de George II au trône britannique. Acolyte précieux du roi « vedette » de l’oratorio, il bénéficie de l’accrocheuse clarté du ténor Jeremy Ovenden. À un chant vaillant s’ajoutent des vocalises irréprochables et une louable présence au texte – un lien ténu au mot est partagé par les trois hommes. Enfin, le contre-ténor Iestyn Davies [photo] s’impose d’emblée par un accompagnato d’une présence indicible. La précision infaillible de sa prestation, toujours très concentrée, la lumière de son timbre [lire notre chronique du 13 juin 2010] et une vocalité qui paraît « naturelle » tout en laissant volontiers savourer un raffinement des plus cultivés, en font un Solomon d’exception.
BB