Chroniques

par katy oberlé

Gaetano Donizetti | L’ange de Nisida, opera semi seria
Joyce El-Khoury, David Junghoon Kim, Vito Priante, Evgueni Stavinsky, etc.

Chorus and Orchestra of the Royal Opera House, Mark Elder
Royal Opera House, Londres
- 18 juillet 2018
à Londres, résurection d'un opéra de Donizetti, "L'ange de Nisida"
© russell duncan | opera rara | royal opera house

Après quelques soirées dans les maisons espagnoles et italiennes, je continue, comme chaque chroniqueur, de construire mon festival personnel avec cette première très attendue, L’ange de Nisida à Covent Garden. Vous avez bien lu, il s’agit de la création mondiale d’un opéra semi seria de Donizetti ! En amont des deux soirées de concert proposées par la Royal Opera House, un grand travail fut effectué par Candida Mantica, spécialiste de ce compositeur. Grâce à ses nombreuses recherches et à son érudition, associées au label Opera Rara – comme l’indique son nom, il s’est fixé pour mission la résurrection d’ouvrages oubliés, inconnus ou, comme c’est aujourd’hui le cas, jamais donnés – la musicologue est revenue aux sources de L’ange de Nisida, comme un archéologue, à la Bibliothèque national de France où des centaines de manuscrits du Bergamasques sont conservés. L’universitaire mit à jour ce que Donizetti, après l’abandon du projet, a recyclé ailleurs, mais aussi certains matériaux qu’il a puisé pour cette œuvre dans des esquisses antérieures.

Au départ, L’ange de Nisida est une commande du Théâtre de la Renaissance, en 1839, dans la foulée de l’immense succès que venait d’y remporter Lucia di Lammermoor. La création était prévue pour 1840, mais la banqueroute suspendit les activités de cette scène. Pragmatique, le compositeur transfère adroitement une partie du travail, presque intégralement achevé, sur La favorite [lire notre chronique du 8 juillet 2018]. Le jeune chef d’orchestre Martin Fitzpatrick prêta main forte à la chercheuse, confrontée à des documents qui n’étaient pas forcément dans le bon ordre et à une orchestration incomplète. Désormais édité, L’ange de Nisida est intégralement achevé, par Mantica quant à sa forme définitive, par Fitzpatrick pour l’instrumentation, qui fit un prêt à Maria di Rohan, mélodrame tragique en trois actes, représenté à Vienne en 1843. Bien qu’il soit difficile de porter un avis à partir d’une version de concert, il semble que l’opéra, sans être un chef-d’œuvre, présente un intérêt plus grand que le simple éclairage sur le parcours de son signataire. Le mélomane en prendra connaissance avec une prochaine parution discographique qui permettra, en revenant sur certains passages, d’approfondir l’approche – près de cent quatre-vingts ans après les prémisses de l’aventure, c’est fou !

L’intrique est située en 1470, sur l’île Nisida, où Don Fernand d’Aragon, roi de Naples, séquestre la belle comtesse Sylvia de Linares, sa maîtresse en secret, surnommée l’Ange pour l’influence bénéfique qu’elle aurait sur le tyran. Un jeune soldat, fougueux ténor, tombe amoureux de Sylvia qui n’est pas insensible mais reste prudente. Le pape Paul II voit d’un œil sévère l’idylle scandaleuse du roi qui, politiquement parlant, n’a rien d’habile. Un moine vient avertir le monarque des dangers menaçant une union conjugale assumée. Dans cette situation idéalement romantique, un curieux intercesseur, rôle de basse bouffe spécifique au genre semi seria, survient pour tâcher d’arranger tout le monde. Don Gaspar apporte une patte légère à l’action qu’il mène, malgré lui, à la catastrophe. Après la mort de Sylvia, Leone entre dans les ordres.

L’ange de Nisida comporte cinq rôles, tous exigeants. Membre du Nouveau Théâtre d’Opéra de Moscou (Московский театр Новая Опера), la basse Evgueni Stavinsky livre un chant noble et puissant dans la partie du Moine. L’émission facile propulse un timbre très riche. Le chant est souple et rond – un artiste qu’il faut guetter, une grande carrière s’ouvrant bientôt à lui [lire notre chronique du 22 mai 2018]. La veine comique de Laurent Naouri est à son comble en Don Gaspar. L’appui systématique sur des consonnes trop prononcées ne propulse cependant plus la voix du baryton français, réduite à un mince filet. En Don Fernand d’Aragon l’on retrouve l’excellent Vito Priante, très sûr, dont la couleur sensuelle campe assez le personnage. La maîtrise de la ligne vocale est splendide. Le rôle de Sylvia est confié au soprano colorature canadien d’origine libanaise Joyce El-Khoury [lire notre chronique du 4 janvier 2018]. L’agilité du chant n’est pas contestable, de même que la maîtrise technique, mais la voix manque d’unité, elle accuse autant d’instruments qu’il y a de registres. La vraie surprise de la soirée, c’est le ténor ! L’ardent Leone de Casaldi est incarné par le Coréen David Junghoon Kim, très en voix, avec un naturel incroyable. L’éclat du timbre est magnifique, avec cette clarté idéale au bel canto. Un legato exceptionnel conduit le phrasé, si bien que les arrivées sur l’aigu paraissent un jeu d’enfant [lire notre chronique du 26 juin 2018]. Quelle grâce !

En amoureux du répertoire italien du XIXe siècle – la pièce, chantée en français, a beau avoir été imaginée pour Paris, elle est italienne, cent pour cent –, Mark Elder joue des timbres avec adresses et accompagne chaque numéro avec la rigueur requise. Il dynamise les forces des Chorus and Orchestra of the Royal Opera House pour une interprétation vraiment excitante. C’est souvent un problème que les musiciens quittent la fosse pour un exécution concertante ; ici, le chef ayant toujours une oreille sur l’équilibre avec les chanteurs, ce n’est pas le cas. Reste à voir un jour sur scène L’ange de Nisida !

KO