Chroniques

par irma foletti

Gala du ténor Jonas Kaufmann
avec Sonya Yoncheva (soprano) et Ludovic Tézier (baryton)

Jochen Rieder dirige l’Orchestra della Fondazione Arena di Verona
Festival dell’Arena di Verona / Théâtre antique, Vérone
- 20 août 2023
Le Festival dell’Arena di Verona invite Jonas Kaufmann en concert de gala...
© dieter roosen

Alors qu’il a annulé nombre de ses engagements ces derniers mois, Jonas Kaufmann est bien présent au gala que lui consacre le Festival dell’Arena di Verona, et à ses côtés deux autres grands noms de la planète lyrique, Sonya Yoncheva et Ludovic Tézier, ses habituels partenaires en scène. Si le soprano bulgare et le baryton français affirment une excellente forme vocale, il n’en va pas de même du ténor bavarois qui montre d’entrée de jeu des signes de fragilité. Tosca est le premier extrait au programme – un curieux mélange, d’ailleurs, puisqu’on entend les premières mesures de l’opéra auxquelles succède, dans l’enchaînement, le premier air de Cavaradossi, Recondita armonia. L’instrument n’y semble pas particulièrement serein, d’une intonation un peu flottante et plusieurs parties de phrases sont chantées en force.

Otello (celui de Verdi) le montre bien meilleur, d’abord au cours du duo de la fin du premier acte, Già la notte densa : la voix sombre aux résonances barytonales est mieux en place, mais l’artiste évite plusieurs passages en mezza voce (comme « “amen” risponda la celeste schiera ! »). La sonorisation du concert permet, certes, un plus grand confort d’écoute, mais elle a systématiquement tendance à aplatir contrastes et volumes sonores. Sonya Yoncheva incarne, quant à elle, une Desdemona idéale pour la beauté de timbre et la musicalité, tandis que Ludovic Tézier interprète un impressionnant Credo d’Iago. La séquence s’achève avec la conclusion de l’œuvre, l’air d’Otello, Dio mi potevi, très profond et conclu par un aigu bien projeté. Après la Scala de Milan en mai dernier, Andrea Chénier réunit à nouveau Sonya Yoncheva et Jonas Kaufmann dans le grand duo conclusif, Vicino a te s’acqueta. Une nouvelle fois le contraste est évident entre le soprano en pleine santé et le ténor dont les aigus ont bien du mal à s’épanouir. Auparavant, Ludovic Tézier a chanté un puissant Nemico della patria, d’une voix ferme au timbre royal.

Après l’entracte, la seconde partie est moins opératique et plus légère, en s’accordant mieux aux roses géantes disposées sur le plateau, qui proviennent d’Il barbiere di Siviglia, production également à l’affiche de cette édition du centenaire du festival [lire nos chroniques de Nabucco et d’Aida auxquels nous assistions ces derniers soirs]. Le premier air, Freunde, das Leben, extrait de Giuditta de Franz Lehár, fait sourire : l’amplification met un petit temps à se mettre en route et le ténor est à peu près inaudible, sur un fond d’orchestre d’une extrême discrétion. Même si le registre aigu reste fragile, on sent Jonas Kaufmann au cœur de son répertoire d’élection, ce qui est aussi vrai pour le tube Dein ist mein ganzes Herz, tiré du Pays du sourire du même compositeur (Das Land des Lächelns). En revanche, l’autre tube, Non ti scordar di me, est plus douloureux pour les oreilles : on est assez éloigné du timbre solaire d’un Pavarotti ou d’un Bergonzi.

La Carmen de Sonya Yoncheva est bien plus idiomatique. L’Habanera est chantée avec conviction et se transforme en numéro de séduction à l’encontre du chef Jochen Rieder [lire notre chronique du 23 mai 2015] qui, tout au long du concert, assure une direction solide. Très éclectique, le soprano aborde également West Side Story de Bernstein (Somewhere), puis Jonas Kaufmann enchaîne avec Maria qui convient bien à ses moyens du soir, avec un meilleur contrôle de l’aigu final. Sur une musique d’Hans Zimmer pour le film Gladiator de Ridley Scott (2000), l’air Nelle tue mani n’ajoute pas vraiment à la gloire du ténor, ni d’ailleurs le trio qui précède : la musique un peu sucrée d’Ennio Morriconepour le film The Mission(Roland Joffé, 1986).

À noter encore que Ludovic Tézier incarne un somptueux Escamillo dans l’air d’entrée du Toréador, d’une voix égale et brillante, performance qu’il renouvelle dans son bis avec Thaïs et le grand air d’Athanaël, Voilà donc la terrible cité, chanté avec mordant, ampleur et une diction remarquable – certainement le plus beau moment de la soirée. Les artistes ne sont d’ailleurs pas avares en bis : Andrea Chénier est de retour avec un Come un bel dì di maggio sensible mais d’une voix ayant tendance à se dérober, avant Mattinata de Leoncavallo. O mio babbino caro (Gianni Schicchi) par Sonya Yoncheva est plus sûr, pris avec une extrême lenteur par l’orchestre. On craint le pire en entendant les premières mesures de Nessun dorma tiré de Turandot, mais Jonas Kaufmann le réussit sans accroc et même avec un certain brillant, donnant vraisemblablement toutes les ressources dont il dispose. Les trois artistes reviennent saluer de nombreuses fois pendant la standing ovation, puis accordent au final le célèbre Brindisi de La Traviata.

IF