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Chroniques
garde et avant-garde
œuvres de Pauset et Nunes
C’est sans doute pour des soirées comme celles-là qu’une telle biennale existe. Une soirée exceptionnelle, avec deux concerts, si différents, présentant deux visions également fortes et pertinentes du quatuor à cordes, avec de l’un à l’autre un sentiment de continuité, de renouvellement et de cycle de l’histoire de l’interprétation mêlés.
En première partie de soirée, le Quatuor Diotima nous fait une époustouflante démonstration de technique et de précision. Remplissant comme les autres ensembles leur devoir schubertien (la biennale offre cette année à son public une intégrale du corpus de musique de chambre pour cordes de Schubert), les quatre trentenaires défendent avec ardeur un juvénile, volubile et joyeux Quatuor n°2. La vivacité de leur interprétation nous fait oublier la vacuité occasionnelle de la partition – composée par un compositeur âgé de quinze ans, pour les membres de sa famille.
Grands défenseurs du contemporain devant l’éternel (rappelons qu’ils tirent leur nom du titre d’une œuvre de Luigi Nono), les Diotima s’investissent avec la même ardeur, la même force brute, dans les deux créations du jour. C’est d’abord un work in progress pour quatuor et clavecin de Brice Pauset, avec le compositeur au clavier. Partition forcément inaboutie, Schwarzwälde Gelassenheit I: Es gibt Wahrheiten est surtout intéressante pour sa naïveté – naïveté rare et touchante chez un compositeur préoccupé de théorie esthétique plus souvent qu’à son tour. Quel plaisir que de voir un artiste ainsi étonné de ce qui sort de sa plume – ne sachant encore le maîtriser, le dompter ! Ici, c’est un matériau brut, excessivement ciselé et poétique, dont les douze minutes entendues ce soir augurent fort bien de la pièce complète (qui en fera trente).
Vient ensuite l’Improvisation IV « L’Électricité de la pensée humaine » d’Emmanuel Nunes, en création française. Sous ce titre un brin crypté se cache une suite de fragments agités, voire violents, résolument postsériels, destinée, à terme, à illustrer une pièce de théâtre musical inspiré de Dostoïevski, La Douce. Compacte et puissante, c’est une musique qui convient parfaitement au jeu des jeunes et impétueux Diotima (quatuor constitué en 1999).
À leurs côtés, les Juilliard (constitués en 1946 et plusieurs fois remaniés) font, quant à eux, figure d’anciens, voire d’aïeux. Ils incarnent, en vérité, un certain renouveau du genre après guerre, et leurs lectures, toujours d’une extrême clarté, d’un équilibre hallucinant au travers d’un son d’ensemble unique, n’ont absolument rien perdu de leur (im)pertinence et de leur fraîcheur.
De Haydn à Mendelssohn, en passant par Schubert, c’est une véritable leçon de quatuor que l’on reçoit de ces messieurs à l’air gentiment sévère. Leur Quatuor Op.20 n°6 de Haydn est tout en rondeur et en grâce, sans ce défaut qu’on observe si souvent aujourd’hui d’un premier violon qui ferait bande à part, et dégage un intimisme exquis, amical et chaleureux. Leur Quatuor n°13 « Rosamunde »(Schubert) est pénétré, voire emprunté par instants, mais toujours empreint d’une noblesse érudite et d’une sagesse bonhomme, qui semble comme un hommage à la grande et belle tradition du quatuor.
Les Juilliard concluent cette soirée sur un feu d’artifice de volubilité, avec le Quatuor Op.44 n°1 de Mendelssohn – où le compositeur, alors âgé de vingt-neuf ans, retrouve avec bonheur la verve de ses seize ans et de son fabuleux Octuor, et la sublime grâce au métier entretemps acquis. Le plaisir de l’écoute devient volupté tant le jeu est parfait, à la fois naturel et mesuré, poétique et rond, pastoral et inspiré. En guise de bis, un Adagio de Mendelssohn, mélancolique et chantant, vient mettre une dernière touche au tableau, décidément parfait.
JS