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Chroniques
Georg Friedrich Händel | Rinaldo (version de concert)
Xavier Sabata, Núria Rial, Hilary Summers, Mary-Ellen Nesi, etc.
La sieste doit bien toucher à sa fin, dans le petit bourg cuisant au pied des Pyrénées encore traversé de quelques effluves marins. Il est environ vingt heures en Catalogne et dans le reste de l'Europe touchée par la canicule, quand, dans un coin de rue sévère sur la douce placette du Carme, résonne une ouverture à la française, ample et altière. Dans la fraîche chapelle auprès du figuier, la musique-caméléon d’Händel (1685-1759) ragaillardit le public festivalier en instaurant le climat pastoral d'Aminta e Fillide. Cela dit, ce n'est pas Figuières, ni cette cantate italienne (1708), mais presque. Dans Peralada (village voisin de la ville natale de Dalí), Rinaldo commence ainsi et respectons-en donc la précision et l'élégance.
En pays de cocagne viticole aux allées de hauts cyprès, lierre foisonnant aux murs de belle pierre, le Festival Castell Peralada attend en effet depuis toujours, pour sa trente-deuxième édition, du messie transeuropéen revenu des Lumières le premier opéra triomphateur de l'Angleterre, grand succès lors de sa création à Londres en 1711. Comme un droit d'aubaine, on profite de l'œuvre donnée avec grande énergie et esprit vaillant (bien que dans sa version de 1731 disgracieuse au goût original de l'opera seria d'inspiration Renaissance), grâce aux forces régionales, tout d'abord.
Toutes promesses tenues [lire nos chroniques du 25 juillet 2014 et du 7 août 2016], à la lumière d'un royal Caro Sposa, Xavier Sabata se révèle un Rinaldo héroïque, aussi tourmenté qu'inspiré, à fendre le grand Jésus de bois qui observe sur le côté. Le contreténor s'investit aussi dans la mise en espace en laissant deviner tant d'initiative et d'entreprise pour afficher, surtout aux deux derniers actes, une puissante volonté théâtrale. L'humain peut se passer de machinerie et d'effets spéciaux inhérents au genre, en se croyant comblé. Mieux qu'une victoire strictement chrétienne, il s'agit de retrouver la foi humaniste à l'origine du livret qui puise dans le grand poème épique du XVIe siècle, La Gerusalemme liberata (Le Tasse, 1581).
Une semblable maîtrise de son rôle habite Núria Rial, soprano au timbre exquis, qui signe une Almirena moins jouvencelle que souveraine. À elle revient la première étincelle lyrique, libérant des vocalises papillonnantes, puis ailées. Et sa prière Lascia ch'io pianga parvient à dévoiler le visage de l'amour. La sournoise magicienne Armide prend bel et bien vie grâce à Mary-Ellen Nesi, interprète de stature internationale dotée d'un superbe profil grec doublé d'un admirable mezzo, riche en couleur et en profondeur [lire nos chroniques du 12 février 2011, puis des 20 janvier et 28 février 2017]. Voici alors le personnage guerrier par excellence, escaladant jusqu'à l'extase l'air Combatti da forte (écrit pour Almirena dans la version de 1711). Pour son amant Argante, moins de véhémence est requise pour davantage d'enchantement. Une pure joie provient à l'écoute d'Hilary Summers, partant de justesse, clarté et sens de la mélodie jusqu’à des ornements soignés et une impeccable et émouvante bravoure dans le limpide Di Sion nell'alta sede. On espère donc suivre sur d'autres beaux flots lyriques ce contralto gallois [lire nos chroniques du 12 juillet 2018, du 5 juillet 2017, du 25 février 2014, du 6 janvier 2010, des 3 décembre, 3 octobre et 5 mars 2008, du 28 novembre 2007, du 22 novembre 2006, du 25 janvier 2004 et du 16 mars 2003]. Enfin, le ténor sévillan Juan Sancho montre plus de retenue en Goffredo, mais encore avec sagesse et tempérament, ainsi qu’une émission solaire plus vive qu'intermittente [lire nos chroniques du 26 novembre 2014, du 15 avril 2016 et du 26 février 2017].
Véloce, rapide et cohérente, la lecture de Dani Espasa, à la tête de son orchestre baroque Vespres d'Arnadi (autre habitué du festival catalan), saisit très bien l'aubaine händélienne estivale, avec générosité et audace, pour tirer le meilleur d'une partition inégale.
FC