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Chroniques
George Benjamin dirige le Philhar’
Elliott Carter, bientôt cent ans
L’un aurait eu cent ans dans quelques jours, l’autre les fêtera presque au même moment (à quelques heures près) : décembre 1908 voyait naître Olivier Messiaen et Elliott Carter. La copieuse célébration du centenaire du premier occupe nos salles de concerts depuis un an, parfois à tort et à travers, pour le pire et le meilleur. Ainsi de ses Oiseaux exotiques que Pierre-Laurent Aimard honore une nouvelle fois ce soir, aux côtés des musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. L’écoute reste sur sa faim, pourtant, après une lecture assez terne que dirige George Benjamin, malgré le superbe travail des bois. Dans le halo dominant du piano, le tutti ne bondit pas et la sonorité générale souffre d’un certain manque de clarté. C’est un autre aspect de la musique de Messiaen que peut-être Benjamin veut faire entendre, au delà des jeux enthousiastes qu’on lui connaît.
Les Three Occasions de Carter n’ont pas été conçues immédiatement comme un tout en trois mouvements, tel que nous les abordons désormais. L’œuvre s’est construite peu à peu, sous l’impulsion du chef Oliver Knussen qui la créa dans son intégralité à l’automne 1989 – signalons au passage le fort bel enregistrement qu’il en réalisait en 1991 et qu’EMI vient de « relooker ». Héritant du langage de Berg et de l’opulence d’Ives, cette page bénéficie d’une interprétation soignée, avec un premier volet sur le fil du rasoir, toujours extrêmement présent et tendu. L’épisode central jouit d’une remarquable clarté d’énoncer où les traits solistiques se détachent comme naturellement de la texture. Maintenant l’exécution dans un savant mezzo forte, accusant à peine une percée crescendo vers la fin, Benjamin soutient sa dynamique d’une conception ferme. Plus épaisse, la sonorité d’Anniversary s’avère raffinée tout autant, suspendant sa fin dans l’ascension interrompue du tuba. Ce quart d’heure avec Carter soulève une question : pourquoi n’a-t-on pas profité de l’approche des cent ans du compositeur pour fêter un vivant ? Son catalogue pour orchestre offrait largement de bonnes idées de concerts. Une Année Carter aurait-elle été incongrue, vraiment ?...
En 1980, George Benjamin, alors âgé de vingt ans, achevait Ringed by the flat horizon, œuvre équilibrant subtilement les timbres de l’orchestre dans une inventivité encore largement héritière de la manière de Messiaen. Si l’on reconnaît la respiration d’Eclairs sur l’au-delà, rappelons toutefois que cette dernière date de 1986 ; l’influence n’est donc en rien littérale. Du reste, on y croisera d’autres lumières, parfois partagées avec le maître français, comme celle de Debussy, mais aussi celles de Sibelius et de Scriabine.
À Lucerne cet été, Pierre-Laurent Aimard créait Duet, nouvelle pièce pour piano et orchestre de Benjamin (qui la lui dédia), sous la direction de Frans Welser-Möst. Le compositeur dirige la première audition française d’un opus discret et fascinant dont les cordes graves tissent la matière, en opposition avec un piano qui génère ses prolongements aux bois. Les motifs s’obstinent au clavier, le tutti prend des allures d’ornements, lorsqu’un lointain écho rythmique laisse poindre une ample phrase des cuivres. Comme avortées, les scories percussives du soliste voient l’orchestre se raréfier dans les ricochets, alors qu’une mélodie de trompette bouchée se brouille peu à peu. Une latence puissante régit chaque avènement, mêlant dans sa fluidité les résonnances de la fin, après une section plus délibérément rythmique. On demeure sous le charme.
BB