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Chroniques
Georges Auric | Phèdre, suite de ballet
Mikko Franck et l’Orchestre Philharmonique de Radio France
Le quartier en vogue de l’après-guerre était célèbre, il y a cent un hivers, pour ses peintres, la plupart des réfugiés d’origines étrangères diverses, dont les œuvres ont pris de la valeur au fil du siècle. À leur suite vinrent les écrivains, poètes, chorégraphes... En ce qui concerne la musique, le Groupe des Six est né sous le signe festif de Montparnasse, baptisé par le journaliste Henri Collet (Comoedia, 16 janvier 1920) et voué à exister dans un contexte amical. En effet, Louis Durey, Germaine Tailleferre, Darius Milhaud, Arthur Honegger, Francis Poulenc et Georges Auric se disent amis, sans esthétique ni manifeste ou engagement commun, voire même sans lien culturel quelconque entre eux. Leur trait d’union s’appelle Erik Satie.
À ce deuxième concert de la semaine que l’Orchestre Philharmonique de Radio France consacre aux Six [lire notre chronique du 4 octobre 2019], Hélène Collerette (violon), Nadine Pierre (violoncelle) et Catherine Cournot (piano) ne s’en sortent pas mal du tout dans le Trio avec piano composé en 1916 par Germaine Tailleferre (1892-1983) [photo] et révisé pour moitié en 1978, suite à une commande. Allegro animato, la jolie bulle soufflée par le piano, avec l’agrément des cordes tendues, se perce sous le charme du violon, tantôt frotté tel le silex, tantôt mélodieusement enchanteur. Plus percutant, le deuxième mouvement marque par une diablerie stravinskienne. Pour mieux comprendre, suivons cet avis de la compositrice : « je fais de la musique parce que ça m’amuse, ce n’est pas de la grande musique, je le sais. C’est de la musique gaie, légère, qui fait que, quelquefois, on me compare aux petits maîtres du XVIIIe siècle, ce dont je suis très fière » (brochure de salle). Par chance, voici venir le mouvement lent, mélancolique, plus touchant, où les archets font régner la sérénité et le piano joue de douceur sobre. Efficace, d’une grande amabilité légèrement factice, le geste paraît emprunter à la poésie de Poulenc. Enfin l’énergie ludique du final Très animé passe pour un possible clin-d’œil à Ravel. En somme, l’écoute bénéficie d’un travail de reconstitution très réussi, sans non plus nous convertir à Tailleferre, aux Six ni aux Années folles.
L’ambiguïté se creuse dans le Concerto pour piano et orchestre en ut# mineur FP146 de Francis Poulenc. Lauréate 2018 du Concours international de piano d’Orléans, Maroussia Gentet s’y montre excellente de gaieté, de libération et de maîtrise des rythmes du final [lire notre chronique du 5 février 2019]. Une œuvre rare, riche de maturité mais aussi piégeuse : « du Poupoule de cinquante ans » prévient le compositeur dans une lettre, peu avant la création à Boston en janvier 1950. L’Allegretto est ouvert par une mignonne bénédiction de l’instrument soliste qui se développera dans un festival d’orchestration de haut niveau sous la baguette précise de Mikko Franck. Et dans l’esprit français d’auto-dérision, la pianiste chatouille : le concerto a trouvé son panache ! Armée de cran et de patience, elle signe un franc succès. On la retrouve en solo dans deux petites pièces de l’aîné des Six, Louis Durey (1888-1979) : de la couleur bleue du désarroi, le Nocturne Op.40 (c.1920) est bouleversant, plein de finesse, en marche solitaire lyrique ; puis la Romance sans paroles Op.21 (1919) s’écoule à grande vitesse, dans l’amusement et l’effet de surprise.
Le piano encore, mais en toute discrétion, d’un ton grave, puis fort excité, et enfin comme mortuaire. C’est l’instrument d’une sonate, nouveau terrain de jeu de Catherine Cournot accompagnant, dans une ambiance souvent feutrée, le hautbois d’Olivier Doise, noble tel une conque siamoise, élégiaque au long cours. Il embellit les ultimes mesures de Poulenc, emporté par une crise cardiaque dans les mois qui suivirent la composition de la Sonate pour hautbois et piano FP185 (1963). Pour finir, l’Orchestre Philharmonique de Radio France au grand complet démarre au kick avec Georges Auric. Après une triple bronca, à travers la suite symphonique tiré du ballet Phèdre (1950), conçu avec Jean Cocteau, il mène d’un pas bonhomme à une marche macabre, d’une certaine balourdise.... Déçu par un semblant de tissu instrumental lâche, aux effets de musique de film pompiers, osons venir et revenir encore à la maison ronde où trouver de vrais rayons de soleil (à l’exception de cette décevante pluie final).
FC