Chroniques

par pierre-jean tribot

Gewandhausorchester Leipzig
Riccardo Chailly joue Brahms et Berg-Verbey

Palais des Beaux-arts, Bruxelles
- 9 mars 2006
à Bruxelles, Riccardo Chailly joue Brahms et Berg avec son Gewandhausorchester
© mat hennek

La nomination de Riccardo Chailly à la tête du Gewandhausorchester (Leipzig) avait surpris plus d'un observateur. Il n’allait pas de soi qu'un musicien d'une telle envergue abandonne le Koninklijk Concertgebouworkest (Amsterdam), l'un des meilleurs orchestres du monde, pour une formation certes légendaire mais alors en perte de régime. Les derniers concerts de la formation allemande sous la conduite d’Herbert Blomstedt, son ancien chef permanent, n'avaient nullement convaincu et l'on pointait de curieuses faiblesses chez les cuivres et les vents.

Le maestro est d'autant plus attendu au tournant qu'il a choisi un programme consacré en grande partie à Johannes Brahms, compositeur dont il n'a jamais vraiment persuadé l'auditeur de ses affinités : son intégrale des symphonies à la tête de l'institution amstellodamoise (Decca) se révèle passablement inaboutie, en dépit de quelques bonnes idées. Pourtant, cette soirée fut une incontestable réussite artistique.

Dès les premières mesures du Concerto pour piano en ré mineur Op.15 n°1, l'esprit est fasciné par la théâtralité du discours. Chailly campe un Brahms puissant, à la fluidité toute latine. Entre les pupitres la musique coule avec transparence ; le piano de Nelson Freire s'introduit à merveille dans cet échange. Le deuxième mouvement est d'une infinie poésie, l'orchestre répondant aux moindres nuances du pianiste brésilien. Le dernier mouvement, emporté dans un tempo allant, soulève l'enthousiasme.

Grand amateur et défenseur de la seconde École de Vienne, Riccardo Chailly débute par une curiosité : la Sonate pour piano Op.1 d’Alban Berg orchestrée par le compositeur néerlandais Theo Verbey (né à Delft en 1959). Ce premier opus du père de Lulu est une pièce expérimentale. Si la structure reste assez classique, l’œuvre présente déjà le lyrisme si intense de ses autres partitions. Avec son imposante nomenclature imposante, la présente adaptation – l’opus 54 de Verbey, signé en 1984 – évolue quelque part entre Mahler et les premières pièces de Schönberg. Le travail est de qualité, mais on aurait aimé un peu plus de radicalité dans le traitement de l'instrumentarium. Bien évidemment, les artistes du jour se font les serviteurs idéaux de cette page d'une dizaine de minutes.

Apothéose du programme, la Symphonie en ré majeur Op.73 n°2 de Brahms est prise dans des tempi rapides qui surprennent. Pourtant, le chef sait concilier vitesse, poésie et clarté du rendu. Ce Brahms lumineux et solaire culmine dans un deuxième mouvement d'une grande finesse et un final jubilatoire. L'orchestre fait preuve d'une superbe cohésion et les différents pupitres se mettent en valeur lors des nombreux soli.

Visiblement heureux de leur prestation, les interprètes se lancent dans deux bis échevelés : les Danses hongroises en sol mineur (Allegro molto) n°1 et en fa (Presto) n°10 (Brahms encore) qui nous convainquent que le Gewandhaus a encore un très grand orchestre.

PJT