Chroniques

par delphine roullier

Giacomo Puccini | Messa di Gloria
Ruggero Leoncavallo | I Pagliacci

Halle aux grains, Toulouse
- 1er février 2004
le compositeur italien Ruggero Leoncavallo
© dr

Sont réunies cet après-midi deux œuvres autour d'un même temps et d'un même pays. L'Italie réunifiée de la fin de XIXe siècle voit naître deux compositeurs ici convoqués : Giacomo Puccini, avec sa Messa di Gloria, et Ruggero Leoncavallo pour Plagacci. Si chacune de ces pièces présente un ton différent, la première faisant entonner un chant sacré, la seconde s'affirmant dans le vérisme (mouvement musical italien souhaitant exprimer la violence des sentiments et ancrer l’opéra dans la réalité), elles ne sont pas pour autant en contradiction et font valoir la rupture avec la représentation musicale de leur époque.

Messa di Gloria, créée à Lucques en 1880 avant l’entrée au conservatoire de Milan du futur maître, restitue la veine musicale religieuse dans laquelle baigne Puccini depuis sa naissance. Si cette messe en cinq séquences est la dernière œuvre sacrée de musicien, elle a l’avantage de contenir l’énergie rigoureuse dont seule l’acquisition permet de se libérer. De facture moderne et généreuse, elle possède en germe la grande aventure qui prédestine Puccini à l’écriture d’opéras au lyrisme expressif. À l'honneur de cette partition, le Chœur du Théâtre du Capitole, sous la direction de Patrick Marie Aubert, que l'on avait déjà vu à l’œuvre pour la version concert du Coq d'Or de Rimski-Korsakov [lire notre chronique du 28 novembre 2003], pourrait donner davantage de grâce et de plénitude à l’élan de virtuosité propre à la jeunesse.

Le ténor Tomislav Mužek donnait un récital la même semaine dans le cadre des Midi du Capitole où, dans un répertoire aussi varié qu'intéressant, il fit preuve d'une aisance étonnante, maîtrisant avec une force égale les partitions en sa langue natale et le répertoire espagnol. Si la voix se livre aujourd’hui avec un sens expressif aiguisé, sa descente dans les graves rompt en revanche avec l’amplitude du geste sonore que son timbre libère lorsqu’il s'essaie à de plus hautes gammes. Le baryton Ludovic Tézier place l’accent lyrique sur le juste mode : sa prestation fait preuve d’autant de virtuosité que dans Paillasse où il incarnait Silvio.

Si la messe affirme un caractère plus spirituel et théâtral que religieux, l’opéra est tiré vers une sobriété de ton qui contraste avec le genre commedia dell’arte auquel se peut se prêter le livret, quand bien même la démasque de la version concert ne se situe pas sur les traces du vérisme. Défiant de fait tout jeu de comédie, Nicoleta Ardelean place merveilleusement sa voix. En la double personne de Nedda et de Colombine – puisque c’est sous couvert de masques que se place la « non-représentation » –, elle incarne l’unique femme de l’opéra, celle sur laquelle repose l’enjeu du drame à venir. C’est dire si son rôle, lourd de sens, ménage ses effets par une solide prestation. À ses côtés, le ténor russe Vladimir Galouzine, à la veine mélodique et sincère, déploie la force attendue dans le rôle-titre. Et si la duperie est frappée d'autant de vérité, c'est que Seng Hyoun Ko, bien qu’au style démonstratif contrastant allègrement avec la troupe de solistes, tient parfaitement son personnage ; en Tonio, dans l’important Prologue qui annonce l’inflexion naturaliste de la pièce, sa voix étonnante d’intensité et d’implication contribue à la magie du présent, livrant ainsi l’opéra a un acte authentique.

Ainsi, par les prestations des chanteurs et celle de l’orchestre conduit par Maurizio Arena, que l’on aurait souhaité plus vigoureuse, violence et cruauté projettent-elles l’humain au cœur de ses vérités. Si, tel que le souhaitaient Leoncavallo et Puccini, les voix libèrent d’une même force terrestre l’homme de ses masques, c’est que l’ensemble se prête parfaitement au jeu. Il est intéressant de constater combien la mise en parallèle de ces deux œuvres se révèle argument particulier, puisqu'il interroge de nouveau la création qui, répondant à la nécessité d'une époque à la recherche d’une réalité tragique, remet en cause le grandiose au profit d’une simplicité à ancrer dans la « vraie vie ». Si l’artiste s’est voulu un peu plus homme, on se souvient avec quelle ardeur celui de la Renaissance s’était déjà affranchi de son statut d’artisan. De cette toujours vive émancipation, au cœur de laquelle se trame la question d’une liberté d’expression, d’émancipation en démocratisation, si l’homme abat des masques, n’en revêt-il pas d’autres pour autant ? Ainsi pourrait-on de même s’interroger sur la valeur commerciale de l’entreprise artistique qui convoque à notre temps un art soumis, sinon guidé, par son marché ?

DR