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Gilbert Amy, un portrait
Marianne Croux, Philippe Hattat, Marc Mauillon, Quatuor Hermès
Non seulement compositeur et chef d’orchestre, Gilbert Amy fut pédagogue et même « patron » du CNSM de Lyon, pendant une quinzaine d’années. De nombreux étudiants s’en souviennent qui, pour certains, rejoignirent les rangs du Philhar’. Pour fêter les quatre-vingt ans du maître, Radio France propose ce week-end un portrait un peu sur le modèle de la semaine présentée par le Théâtre du Châtelet il y a douze ans [lire notre chronique du 19 mars 2004]. Après Variations (flûte, clarinette, violoncelle et piano ; 1956), Mouvement (quatuor à cordes ; 1958), En trio (clarinette, violon et piano ; 1985/87) et 5/16 (flûte et accompagnement d’une percussion en bois ; 1986), poursuivons la chronologie des œuvres ici jouées [lire notre chronique] avec Mémoire pour violoncelle et piano, écrit en 1989 à partir de Shin'anim sha'ananim pour contralto, clarinette, violoncelle et ensemble (création par l’Orchestre symphonique de Jérusalem in loco le 16 octobre 1979), sur un poème de l’Andalou Salomon Ibn Gabirol (c.1020-1058). Les trois chants solistiques de l’original sont absorbés par le violoncelle d’Yan Levionnois, le tutti est transcrit au piano. Non sans panache, Anne Le Bozec lance le geste d’ouverture, répété trois fois avec de menues variantes, avant un prélude de son partenaire, menant à un duo véloce. Un tendre solo du piano est rejoint en douceur par le violoncelle qui finira seul la pièce.
Le jeune Philippe Hattat, lauréat du Concours international de piano d’Orléans (entre autres) et applaudi ce printemps [lire nos chroniques des 9 et 14 mars 2016], donne Obliques II : « Le récit » – une partition créée par Jean-François Heisser, l’un de ses professeurs. En 1990, Amy renouait avec le piano solo par ce recueil de trois obliques qu’on peut jouer séparément. Avec Le récit, il dessine une narration. Cloches dans le sur-grave pédalisé, carillon dans le médium, hésitation d’une sorte de gruppetto élargi et retour des cloches sont les prémisses d’un chemin obstiné et litanique, recourant volontiers aux effets de résonnance. Les attaques généreusement prolongées croisent un parcours d’accords – peut-être cela s’entend-il entre Messiaen et Boulez, au fond.
On passera vite sur Le temps du souffle I pour deux clarinettes (prenant le cor de basset) de 1993/96. Quoique bien servi par Jean-Pascal Post et Jérôme Voisin, ce duo perd ici l’attrait de la théâtralisation prévue et, surtout, l’intrusif do#-si-ré-mi (etc.) trop bien connu nous en a fâcheusement déconcentrés… Rallions donc le nouveau siècle, inauguré par le Concerto pour violoncelle et orchestre joué samedi soir à l’Auditorium [lire notre chronique], avec Trois mélodies sur des poèmes de René Leynaud composées en 2003. Gilbert Amy puise dans un recueil posthume paru chez Gallimard en 1947 (on fusilla le poète lyonnais pour acte de résistance, le 13 juin 1944). Un ostinato dans le haut du clavier appelle la ligne vocale liée de Matin, délitée sur un égrènement infini, à laquelle le soprano Marianne Croux apporte une belle rondeur de timbre. On le constatait à l’automne 1999 avec Le premier cercle, son opéra d’après l’œuvre éponyme de Soljenitsyne : le musicien aime à triturer le vers. La courte Chanson virevolte dans une fausse innocence cruelle. Sur les profondeurs de plume de Dit, Anne Le Bozec cueille d’autres sons directement sur les cordes du piano. On regrette le travail un rien bavard sur le texte qui lui fait perdre beaucoup d’impact.
Mouvement (1958) est suivi des Quatuor n°1 (1992) et Quatuor n°2 « Brèves » (1995) [lire notre chronique du 20 juillet 2012]. Commandé par le Concours international de Bordeaux où il fut créé le 15 mai 2010, le Quatuor n°3 est achevé en 2009. On le pourrait surtitrer óξύμωρος tant l’infiltration du contraste semble son mot d’ordre. Un duo désertique de l’alto et du violoncelle (excellents Yung-Hsin Lou Chang et Anthony Kondo) introduit un tutti désolé au motif descendant une gelure lyrique. L’édification d’escaliers contraires se conjugue à des glissandos filés, jusqu’à l’amorce d’une mélodie embryonnaire. Les quartettistes se lancent dans une section raisonnablement rythmique qui ne dédaigne pas le souvenir sériel. Une tendance élégiaque, discrète, déjoue les heurts sous les archets fort souples du Quatuor Hermès, signant une interprétation plus onctueuse encore que celle des Diotima [lire notre chronique du 15 novembre 2010].
à la rencontre de Gilbert Amy fait entendre d’autres musiques.
Mélodie de Darius Milhaud (1917), Chansons madécasses de Maurice Ravel (1926) magnifiquement chantées par Marc Mauillon, mais encore Haydn (1799) et une interprétation de référence des Métamorphoses nocturnes de György Ligeti (1953/58) par ce même Hermès, décidément remarquable ! Commande du CNSM de Lyon, Après… « les fées… » pour piano (2011), où l’on retrouve Philippe Hattat, fut écrit pour le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Claude Debussy. Il ânonne les premiers pas de Les fées sont d’exquises danseuses, quatrième Prélude du Livre II. Cette miniature extrapole avec une vivacité joueuse, sans développer.
L’an dernier, Amy revenait à René Leynaud (1910-1944) avec Le poète inachevé, suite pour baryton et violoncelle dont la première eut lieu au Festival d’Aix-en-Provence à l’été 2016. Les six extraits donnés samedi constituent donc le plus récent de l’œuvre du compositeur à ce mini-festival. Marier à la voix humaine l’instrument à cordes qui lui ressemble le plus induit de troublants effets de doublure qui fouillent la notion d’inachèvement d’un homme de lettres épris de justice et fauché trop jeune. La clarté du timbre, la richesse de la couleur et l’exemplarité de la diction élève haut l’approche de Marc Mauillon, accompagné par Anne le Bozec. On retrouve une tendance à redire le déjà-dit qui contrarie le vers (la fin de la Chanson aurait gagnée à suspendre « brève à nos destins » sans postlude plaintif, par exemple). Avouons un faible pour Dessin animé, sorte de conte horrifique qui ne s’écoute pas chanter.
Bien qu’oubliant un demi-siècle de création – on entendit Jeux (1973) il y a quelques mois [lire notre chronique du 12 mars 2016] –, ces deux jours aident à percevoir plus pleinement l’œuvre de Gilbert Amy. Avec un peu de retard, souhaitons-lui un bel anniversaire !
BB