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Chroniques
Gioachino Rossini – Il viaggio a Reims, opéra en version de concert
Karine Deshayes, Dmitry Korchak, Jessica Pratt, Erwin Schrott, etc.
C’est le 18 août 1984 que le Rossini Opera Festival (ROF) exhumait Il viaggio a Reims (Le voyage à Reims), sous la direction de Claudio Abbado et dans la production de Luca Ronconi. Œuvre de circonstance créée en 1825 dans le cadre des célébrations liées au couronnement de Charles X, cette cantate scénique, dramma giocoso en un acte, fut alors interprétée lors d’une unique représentation, avec interdiction prescrite par le compositeur de la jouer ultérieurement. Même si beaucoup de musique fut réutilisée plus tard dans Le comte Ory – création à l’Opéra Le Peletier en 1828 –, ce formidable travail de reconstruction de la partition originale, sous la direction de Janet Johnson dans l’édition critique de la Fondazione Rossini, avait heureusement donné lieu à un enregistrement paru en CD, à la suite des représentations pésaraises entrées dans la légende. Le succès de l’ouvrage ne s’est pas démenti depuis, soit lors de nombreuses reprises de la production de Ronconi, soit à l’occasion de nouveaux spectacles montés par d’autres metteurs en scène.
Pour marquer ce quarantième anniversaire, le ROF propose, en clôture de l’édition 2024 [lire nos chroniques du récital Gregory Kunde, de Bianca e Falliero ossia Il consiglio dei tre et d’Ermione], le dramma giocoso en un concert unique, défendu par la fine fleur actuelle du chant rossinien en l’Auditorium Scavolini, et retransmis sur la place à un public plus large (photo). Mais le résultat n’est sans doute pas à la hauteur de l’évènement, à l’issue de cette soirée. Dix-sept pupitres s’alignent à l’avant, donnant même l’impression d’être un peu à l’étroit en bord du plateau, quand à l’arrière les trois rangées de choristes du Teatro Ventidio Basso prennent la majorité de l’espace. Le chœur paraît d’ailleurs en surnombre ce soir, peu sollicité au cours de l’exécution et souvent absent d’ordinaire, ses parties pouvant être chantées par les nombreux solistes. Dans cette configuration, chacun semble chanter « dans sa ligne » (pour reprendre un terme d’actualité sportive), sans véritable esprit d’équipe. Le duo Melibea-Libenskof par exemple, en seconde partie après l’entracte, est conduit par les deux interprètes séparés par cinq pupitres, donc sans aucune possibilité d’interaction. Dans ces conditions, la valeur du concert repose sur les qualités individuelles des chanteuses et des chanteurs.
Côté féminin, c’est la Contessa di Folleville de Jessica Pratt qui impressionne le plus, par la hauteur et l’ampleur des aigus, et tout un bagage belcantiste utilisé à plein, entre notes piquées, notes filées, vocalises, trilles et difficiles variations dans la reprise de la cabalette [lire nos chroniques d’I puritani à Toulon puis à Marseille et à Paris, Le convenienze ed inconvenienze teatrali, Rosmonda d’Inghilterra, Rigoletto, Semiramide, Il castello di Kenilworth, Demetrio e Polibio, Les contes d’Hoffmann à Bordeaux, Arianna a Nasso et Francesca da Rimini]. Vasilisa Berzhanskaya prouve, une nouvelle fois, l’excellence de ses qualités, mais sa Corinna n’est pas l’habituel soprano aérien et éthéré, rôle ici chanté par un instrument plus large, aux graves parfois appuyés. Sa musicalité et le contrôle de l’instrument sont, en tout cas, remarquables, l’interprète ajoutant de subtils suraigus et variant les nuances forte-piano avec une remarquable maîtrise [lire nos chroniques de La dame de pique, Nabucco à Vérone, puis de Moïse et Pharaon à Pesaro et au Festival d’Aix-en-Provence]. La Madama Cortese de Karine Deshayes fait preuve d'un registre aigu brillant. Entendue deux jours avant dans L’equivoco stravagante, Maria Barakova fait à nouveau admirer son superbe timbre en Marchesa Melibea, développant, elle aussi, davantage de puissance dans le registre aigu [lire nos chroniques de Rheingold et de Boris Godounov].
La paire de ténors invitée par le ROF est certainement l’une des meilleures qu’on puisse trouver aujourd’hui, soit Jack Swanson en Cavalier Belfiore et Dmitry Korchak en Conte di Libenskof. Le premier est un ténor léger typiquement rossinien, distribué cette année en Conte Almaviva du Barbiere di Siviglia, dont l’agilité fait merveille pour les passages les plus rapides [lire nos chroniques d’Il signor Bruschino et de Così fan tutte]. Le second est tout à fait désigné pour ce rôle globalement plus grave et aux intervalles impressionnants, projetant avec force ses phrases, appuyant en particulier quelques notes aigües [lire nos chroniques du Comte Ory et d’Otello]. Du côté des basses, le Don Profondo d’Erwin Schrott, très drôle dans l’imitation des accents étrangers [lire nos chronqiues de Don Giovanni à Munich, Les vêpres siciliennes et Faust], fait meilleure impression que Michael Mofidian en Lord Sidney, très beau et noble timbre, mais accusant des problèmes réguliers d’intonation dans les aigus [lire nos chroniques d’Anna Bolena, Les pêcheurs de perles, Jenůfa et Káťa Kabanová]. Très apprécié à Pesaro, Nicola Alaimo fait, en Barone di Trombonok, sourire par sa vis comica naturelle [lire nos chroniques de La forza del destino, Lo frate ‘nnamorato, Guillaume Tell, Torvaldo e Dorliska, Il pirata, La traviata à Toulouse, Simon Boccanegra et Nabucco à Genève], aux côtés des deux autres barytons solidement timbrés, Vito Priante (Don Alvaro) et Alejandro Baliñas (Don Prudenzio), pour en rester aux rôles principaux [sur le premier, lire nos chroniques de David, Don Giovanni à Lyon, Berenice, Motezuma, Il Flaminio, Les contes d’Hoffmann à Madrid, Iolanta, L’ange de Nisida, Adina ovvero Il califo di Bagdad, Capriccio et Lucie de Lammermoor ; quant au second : L’Incoronazione di Poppea, La scala di seta et La traviata à Paris].
À la tête d’un Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI techniquement solide – belles flûte et harpe accompagnant les airs de Sidney et Corinna –, Diego Matheuz propose une direction un peu à l’image de la soirée : sérieuse, professionnelle, mais pas spécialement festive.
IF