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Chroniques
Giulio Cesare in Egitto | Jules César en Égypte
opéra de Georg Friedrich Händel
Félicitons d’emblée Valérie Chevalier et Laurent Spielmann (respectivement conseiller artistique et directeur artistique de l’institution nancéienne) d’offrir une distribution luxueuse à la nouvelle production du Giulio Cesare in Egitto de Händel, visible jusqu’au 10 mars dans le beau théâtre de Joseph Hornecker. Chacun y trouve un rôle à sa mesure, faisant assister à une véritable fête vocale comme l’on en rencontre assez rarement.
Le contreténor polonais Artur Stepanowicz, bien que rencontrant çà et là quelques soucis dans les phrases descendantes, est un Nireno attachant, avantageusement sonore, soulignée par un grave coloré. On remarquera également l’émission confortablement ancrée dans la terre et la flatteuse projection de Riccardo Novaro, infiniment fiable en Achilla. Moins convaincante s’avère la Cornelia d’Élodie Méchain qui semble ne jamais parvenir à trouver ses marques ; ainsi l’aigu est-il tour à tour trop léger ou artificiellement enflé, la nuance se trouvant souvent ternie par une tendance à détimbrer les pianissimi. On retrouve Stéphanie d’Oustrac en Sesto, arborant des moyens que l’on sait généreux, dans une incarnation parfois excessive – l’évidente et directe expressivité de la voix opère sans qu’il soit nécessaire de recourir à un jeu démonstratif. De fait, la tentation du rôle est si grande que le mezzo-soprano gonflera jusqu’à le rompre L’angue offeso mai riposa (deuxième acte), réservant une approche plus prudente à une L’aure che spira de toute beauté (aria finale du même acte).
L’on attendait beaucoup Philippe Jaroussky, décidément encore rare à la scène – Catone in Utica et La verità in cimento (Vivaldi), Agrippina (Händel) – qui, en Tolomeo, affirme un grave de plus en plus corsé tout en gardant la juvénile lumière de son aigu. L’agilité du chant fait les délices de l’auditeur, à défaut de rendre crédible une incarnation qui prive le personnage des possibles dangers qu’il devrait véhiculer. Par des récitatifs divinement mordants, puis un Tutto può donna vezzosa brillant, après un Non disperar timide et un peu terne, Ingrid Perruche impose une Cleopatra élégante. Elle livre un Se pietà di me (lamento de l’Acte II) somptueusement nuancé où l’émotion est au rendez-vous. Enfin, le rôle-titre bénéficie de la composition parfaitement crédible et de la couleur exceptionnelle du timbre de Marie-Nicole Lemieux, véritable chef de guerre dont l’art se révèle tant dans la vaillance – Va tacito e nascosto (Acte I) au da capo magnifiquement orné – que dans la grandeur – Dall’ondoso periglio, ou l’air de Jules sauvé des eaux, est une merveille (III) –, la suavité – Se in fiorito, la gracieuse aria du II, partagée avec le violon solo – et la gravité recueillie – Alma del gran Pompeo (accompagnato du I).
Cependant, la réunion de ces ingrédients de choix n’est pas optimisée par un travail de fosse qui s’inscrit a contrario. On s’interroge sur la tentative de Kenneth Montgomery de baroquiser les forces instrumentales de l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, tentative soldée par des attaques hasardeuses et une inertie qui constitue un réel handicap. Un tel contexte rend vain tout effort dynamique, le continuo – où se remarque la prestation de Mauricio Buraglia au théorbe – accusant d’autant plus la disparité stylistique.
En revanche, alors que beaucoup de metteurs en scène s’acharnent à traverser de diverses agitations les opéras du Caro Sassone, et en particulier celui-ci, Yannis Kokkos concentre sa réalisation. La chorégraphie de Richild Springer respecte un à propos systématiquement vérifiable, sur le rythme et des situations montrées dans l’écrin judicieux d’un palais aux fresques intégrant des motifs antiques égyptiens à une esthétique Art Déco coloniale toujours savamment éclairée (Patrice Trottier), créatrice de relief, de profondeur et de climats.
BB