Chroniques

par bertrand bolognesi

Giulio Cesare in Egitto | Jules César en Égypte
opéra de Georg Friedrich Händel

Opéra de Toulon
- 12 avril 2015
un Jules César façon Satyricon à l'Opéra de Toulon : belle réussite !
© frédéric stéfan

Des nombreux opéras de Händel, on donne principalement quelques titres dont la carrière va toujours grandissant. Ainsi de Giulio Cesare in Egitto qui, avec Ariodante, Agrippina et Tamerlano, s’impose indiscutablement parmi les plus représentés. Depuis 1724, année où l’ouvrage fut créé à Londres, le public toulonnais n’avait encore goûté in loco les aventures händéliennes de Cléopâtre et de l’illustre Jules. C’est aujourd’hui chose faite… et qui plus est à la Saint Jules (certes, le calendrier chrétien fête un pape du IVe siècle et non l’empereur amoureux), bigre !

Pour ce faire, Claude-Henri Bonnet confie une nouvelle fois les clés de son théâtre à Frédéric Andrau et son équipe – Ivan Mathis aux lumières, Jérôme Bourdin pour les costumes, Luc Londiveau signant la scénographie. Si l’artiste avançait encore timidement ses atouts dans les deux spectacles qu’ici-même nous avions appréciés [lire nos chroniques du 27 février 2009 et du 3 février 2012], voilà qu’il s’engage plus fermement, à travers une mise en scène avantageusement renseignée dont l’esthétique renvoie d’emblée à Pétrone via Polidoro, plutôt que Rochegrosse ou Fellini. Sous un ciel de touffeur alanguie, quelques ruines plus ou moins ensablées suffisent à camper une Antiquité délicieusement licencieuse qui voit ses gitons reposer les soldats par ces flatteries qu’on taira. Rien que de juste dans cette lecture : l’œuvre n’a de cesse d’évoquer une bataille toute charnelle plutôt qu’une guerre politique, par-delà cette tête de Pompée dont la décollation semble elle-même érotiser la captivité de Cornelia dans un jardin de délices présumés – de fait, c’est devant celle de Ptolémée que la joyeuse assemblée dégustera les somptueuses agapes finales.

Monter les opéras de Händel pose toujours plusieurs questions. Dans le cadre d’un édifice du temps, la tentative de reconstitution se justifie pleinement, puisqu’il possède à la fois les proportions architecturales et l’acoustique « anciennes ». Mais hors ces lieux privilégiés, de nos jours le public ne se contente plus guère de productions littérales. Aussi nos metteurs en scènes investirent-ils ce corpus avec un recul parfois critique, d’autres fois humoristiques, diversement heureux, d’ailleurs, quand il n’est pas tout simplement soumis à quelque effet de mode, dépassé aussitôt mis sous les projecteurs. Sur le seul Giulio Cesare, on en pourrait dire beaucoup en la matière… de la saine sobriété d’Yannis Kokkos à la textualité scrupuleuse d’Emilio Sagi en passant par les égarements d’Herbert Wernicke [lire notre critique du DVD] ou la vulgarité « branchée » d’Irina Brook [lire nos chroniques du 6 mars 2007, du 18 avril 2008 et du 18 octobre 2006]. Loin des stériles mises à distance salzbourgeoise (Patrice Caurier et Moshe Leiser) ou parisienne (Laurent Pelly), tenons pour prégnante la proposition de Frédéric Andrau qui fait confiance à des fauteuils capables de comprendre ce qu’ils entendent et ce qu’ils voient sans nécessiter que leur soit expliqué un prétentieux protocole, aussi creux que consensuel, au fond [lire nos chroniques du 23 août 2012 et du 23 janvier 2011].

Pour l’occasion, la fosse toulonnaise est confiée à Rinaldo Alessandrini qui, bien que ne disposant que d’un continuo baroque (théorbe, violoncelle et clavecin) sans tutti d’instruments anciens, mène une lecture tant incisive que sensuelle, où chaque air est dûment ciselé selon le caractère qui lui convient. Au sourire un rien canaille de la scène répond donc un orchestre enlevé.

Surtout, c’est avec la distribution vocale que triomphe cette matinée ! Quand des maisons disposant d’autres moyens sont, par-devers elles, conduites à faire l’impasse de tel ou tel rôle par divers « faute-de-mieux », l’Opéra de Toulon s’offre un octuor proche de la perfection. Curio ferme de Pierre Bessière, Achilla tant robuste qu’élégant de Riccardo Novaro, Nireno irréprochable de Benedetta Mazzucato, voilà des rôles secondaires bien tenus. Quant au quintette principal… Teresa Iervolino livre une Cornelia au timbre riche, Daniela Pini est un Tolomeo infailliblement chanté, tandis que trois grandes « baroqueuses » font merveille : Monica Bacelli en un Sesto attachant, tout de feu et de lumière, Roberta Invernizzi en Cleopatra dont séduisent les méandres vocaux, enfin l’excellente Sonia Prina dans le rôle-titre, Jules exceptionnel par les moyens, l’art de la nuance et l’ornementation, l’endurance et l’humeur.

BB