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Chroniques
Giuseppe Verdi | La forza del destino (opéra en version de concert)
Raehann Bryce-Davis, Catherine Hunold, Amadi Lagha, Gezim Myshketa, etc.
Le Théâtre du Capitole convie le public à des représentations de concert de l’opéra en quatre actes de Verdi, La forza del destino, suivant deux possibilités : la partition intégrale, de plus de trois heures, donnée les après-midis des dimanches 23 et 30 mai, ou une version abrégée d’une heure et quarante-cinq minutes, jouée sans entracte, sur quatre autres soirées programmées à partir de 18h30. C’est à cette alternative que nous assistons, qui, dans notre ressenti, ne constitue pas une succession d’airs juxtaposés mais déroule, au contraire, une agréable continuité de l’œuvre, ceci avec des choix forts et bienvenus – par exemple, celui de faire complètement abstraction du premier acte (à tel point que la brochure de salle indique un opéra en trois actes !), ainsi que du premier tiers du deuxième. À partir de l’air de Leonora Sono giunta! Grazie, o Dio, nous retrouvons l’ouvrage jusqu’à sa conclusion, avec de rares coupures.
Covid-19 et distanciation physique obligent, une trentaine de musiciens travaille en fosse, avec, dans cette configuration, des parties de vents très exposées. Les instrumentistes de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse sont impeccables et, là encore, cette réduction du matériel initial n’amène pas de frustration. Aucun sentiment d’une version chambriste, avec le chef verdien Paolo Arrivabeni qui, dès l’Ouverture, fait vivre la musique avec intensité. Les cuivres y sonnent généreusement, le son est brillant et clair, sans effet démonstratif d’accélération ou d’enflement de la pâte orchestrale [lire nos chroniques de Rigoletto, Ernani, Otello, Simon Boccanegra et I due Foscari].
La distribution vocale s’avère de très haute volée, même si l’un des rôles principaux convainc partiellement. Il s’agit de Catherine Hunold qui ne trouve pas forcément son meilleur rôle en Leonora. Le soprano français [lire nos chroniques de Mahagonny Songspiel, Les barbares, Bérénice, Wesendonck Lieder, Lohengrin, La damnation de Faust et Ariadne auf Naxos] chante, certes, toutes les notes, en puisant d’ailleurs dans une appréciable réserve de graves, mais beaucoup de ses aigus, très puissants au demeurant, sont en tension, voire en limite pour les plus hauts perchés. Concentrée sur son émission, l’interprétation semble en souffrir avec des variations de couleurs et des nuances limitées. Pace, pace mio Dio de l’Acte IV est d’une douceur reposante, mais le suraigu (« Invan la pace… ») se rapproche du cri, alors que son Maledizione final est chargé de davantage d’expressivité.
En Alvaro, Amadi Lagha est, en revanche, une – nouvelle – révélation. Nous avions vu le ténor franco-tunisien dans Turandot à Toulon [lire notre chronique du 25 janvier 2019], et le sentiment est le même cette fois-ci : celui d’avoir assisté à un grand moment [lire également notre chronique de Luisa Miller]. C’est d’abord le volume de l’instrument qui impressionne, un medium qui emplit généreusement et naturellement tout l’espace dès les premières notes. Le registre aigu est ensoleillé et clair, tandis que le grave, bien qu’en montrant des limites, est tout de même fort bien exprimé. Dans ce chant bien articulé, sans pleurnicherie, se dégagent émotion et générosité, l’artiste se prenant au jeu et n’hésitant pas à s’éloigner significativement du pupitre.
Autre magnifique timbre, celui du baryton Gezim Myshketa en Carlo, doté d’une ligne vocale élégante et d’un legato conduit sur le souffle [lire notre chronique du 19 juin 2015]. Ses S siffleurs rappellent un autre baryton Verdi de légende, Renato Bruson. Ce soir, le chanteur turc sait aussi se montrer vindicatif, comme au grand air de l’Acte II. Dans ces conditions, la confrontation entre Alvaro et Carlo, avant qu’ils ne sortent en coulisses pour un duel à mort, constitue le sommet de la soirée, ceci en termes de chant et de théâtre. Chantant sans partition, la basse Roberto Scandiuzzi compose un Padre Guardiano d’une évidente autorité. Le vibrato reste sous contrôle, l’assise vocale est stable et le creux du grave correspond idéalement à ce personnage d’église [lire nos chroniques d’Eugène Onéguine, Simon Boccanegra, I quattro rusteghi, Ero e Leandro, Don Pasquale, La grotta di Trofonio, Jérusalem, La sonnambula et Don Carlos]. La Preziosilla de Raehann Bryce-Davis déploie un agréable instrument, avec fermeté mais sans outrage. La voix est dynamique dans les passages rapides et de nature bouffe, les grands sauts d’intervalle sont gérés avec musicalité ; le seul bémol est une diction largement perfectible. Dernier rôle de premier plan, le Fra Melitone de Sergio Vitale, sonore et bien timbré, pourvu d’une ampleur certaine, tandis que Roberto Covatta (Trabuco) et Barnaby Rea (Chirurgo) [lire nos chroniques de De la maison des morts et de Trois sœurs] complètent la distribution. Préparé par Alfonso Caiani, le chœur masculin du Capitole, rejoint par les femmes uniquement pendant une partie du troisième acte, affiche un sans-faute. Il fait preuve d’une unité sans failles et distille une palette très large de nuances, entre chant à pleine force et piano subito.
Bonne nouvelle, les masques commencent à tomber. Si les femmes le portent encore en majorité, ce n’est pas le cas des hommes lorsqu’ils chantent. Il faut dire que les choristes sont bien espacés sur la surface du plateau, mais leur nombre (une trentaine pour les hommes, de même que pour la partie féminine) n’autorise pas actuellement une version scénique, comme l’indique au micro le directeur artistique Christophe Ghristi avant le début du concert.
IF