Recherche
Chroniques
Giuseppe Verdi | Messa da Requiem
Elodie Hache, Aurore Ugolin, Paul Gaugler et Wojtek Smilek
Il n'y a pas que le prestige médiatique. L'Opéra de Saint-Étienne, qui n'est pas bégueule en rendant un double hommage à Jean d'Ormesson et à Johnny Hallyday, avec un extrait deRequiem pour un fou entonné a capella par Elodie Hache, l'a bien compris et a ouvert sa saison de concerts avec une symphonie de Méhul, célébrant un bicentenaire oublié ailleurs en France [lire notre chronique du 3 octobre 2017]. L'initiative mérite d'autant plus d'éloges qu'elle fut remarquablement dirigée par David Reiland, premier chef invité de l'Orchestre symphonique Saint-Étienne-Loire, que l'on retrouve sur le podium pour uneMessa da Requiem de Verdi confirmant l'intelligence de sa baguette, laquelle se montre attentive à la construction organique de l'ouvrage.
Dès l'Introït augural, la souplesse concentrée du geste accompagne un élan qui buissonne les murmures du Requiem aeternam, avant une anastomose vers les contrastes du Kyrie. Mais ici, point d'exhibitionnisme théâtral : plutôt que de souligner les ruptures dramatiques entre les numéros, la présente lecture s'attache à la fluidité d'un cheminement spirituel et intérieur qui ne quémande pas les effets de fresque. Le Dies irae se révèle éloquent à cet égard : la vigueur du Chœur de Opéra de Saint-Étienne, préparé par Laurent Touche, recèle une tension qui ne se dilapide pas dans une extériorité spectaculaire.
Wojtek Smilek déploie une basse généreuse et intensément humaine dans le Tuba mirum, confirmée plus loin dans le Confutatis : jamais matamore, il s'inscrit idéalement au diapason de l'humilité impulsée par la direction orchestrale [lire nos chroniques du 15 juin 2016, du 26 juin 2015, du 6 octobre 2011, des 18 juin et 26 avril 2009, des 25 octobre et 10 avril 2007, enfin du 18 mai 2006]. Constante tout au long de la soirée, la précision du dessin vocal du soliste polonais est également partagée par ses partenaires féminines. Aurore Ugolin ne le démentit point dans le Liber scriptus [lire nos chroniques des 9 mai et 26 mars 2010], ainsi qu'aux côtés d'Elodie Hache avec le Quid sum miser, duo que l'on retrouve dans un Recordare empreint de complémentarité et de noble sentiment, après un Rex Tremendae dans lequel affleure l'inquiétude.
Car c'est bien la fragilité devant le trépas que décrit l'anabase calibrée par le chef belge. On pourra, dans l'Ingemisco, discuter les envolées lyriques du ténor Paul Gaugler, appelé en urgence pour remplacer Paolo Lardizzone, plus explicites que le reste du plateau, sans déséquilibrer néanmoins un Lacrymosa d'une belle retenue. Une indéniable lisibilité des masses chorales magnifie l'Offertoire et, plus encore, la fugue du Sanctus. L'Agnus dei et le Lux aeterna invitent à une certitude postmortem apaisée que vient contredire la fébrilité d'Elodie Hache et du Libera me : loin d'une assomption collégiale, c'est sur l'irréductible solitude de l'âme face à la mort que se referme un Requiem humain dont David Reiland éclaire la sincérité pudique et vulnérable. On n'oubliera pas la proximité d'Aida, créé trois ans plus tôt : la puissance des tutti sert d'abord à rehausser la vérité intime.
GC