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Chroniques
grandes journées Antoine Dauvergne
Sacchini et Grétry par Le Concert Spirituel
Ce n’est pas avec une œuvre d’Antoine Dauvergne que le CMBV ouvre les Grandes Journées qu’il lui consacre cette année, mais avec deux compositeurs majeurs qu’il contribua à faire connaître en France durant son activité de directeur de l’Académie royale de musique, un Italien et un Belge qui, auprès de Marie-Antoinette, occupèrent tous deux un rôle de professeur, de chant pour le premier et de clavecin pour le second. Antonio Sacchini et André Ernest Modeste Grétry illustrent à plus d’un titre la musique de cette reine au goût certain pour les arts décoratifs, la mode et tout ce qui contribuait à enrichir le divertissement et à s’étourdir dans les menus plaisirs d’une vie de château jeune et étourdissante.
La musique occupa une place prépondérante dans ce quotidien. Sans tenir compte des coteries parisiennes, Marie-Antoinette sût choisir et défendre de nombreux musiciens étrangers dont elle fit la gloire. Si, dans la mémoire collective, Gluck a effacé les noms de ces compositeurs, leur redécouverte est loin d’être inintéressante. Après le Liégeois Grétry en 2009, le CMBV, dont la mission est de faire redécouvrir la richesse du répertoire français, s’attache (en partenariat avec le Palazzetto Bru Zane) aux créateurs de cette période charnière qu’est le règne de Louis XVI, où la musique baroque devenu classique va progressivement entrer dans le romantisme.
Ce soir, à travers des extraits de deux œuvres totalement oubliées depuis un peu plus de deux siècles, le Concert Spirituel éclaire avec brio ce Dauvergne découvreur audacieux de talents, lui qui affronta par ces choix des querelles dont le public parisien aimait à se régaler. Nous entendons tout d’abord quelques pages de la tragédie Renaud ou la suite d’Armide de Sacchini, puis celles tirées d’un opéra de demi-caractère de Grétry, Panurge dans l’île des lanternes.
Le musicien italien Antonio Sacchini n’arriva en France qu’à la fin de sa carrière, en 1783 ; il mourut en 1786. C’est dès son arrivée dans le pays qu’il composa ce Renaud sur un livret précédemment mis en musique par Desmarets. L’œuvre illustre parfaitement le goût du pathétique qui caractérise désormais la tragédie où le drame appelle plus de larmes passagères qu’une fin funeste et où les héros finissent par s’aimer. Cet opéra fait la part belle à l’héroïne, Armide. C’est le mezzo-soprano Marie Kalinine, au timbre somptueux et au caractère bien affirmé, qui l’interprète avec tempérament. Cette jeune chanteuse est une Armide royale.
À ses côté, nous retrouvons le jeune et talentueux baryton talentueux Aimery Lefèvre [lire notre chronique du 11 août 2009] dans le rôle du père de l’enchanteresse. La voix est souple, le phrasé noble, et la présence, élégante et péremptoire, se révèle pleine d’humour dans le rôle du mari infidèle dans le Panurge de Grétry. Acteur accompli, Aimery Lefèvre est un chanteur à l’avenir radieux. Quant à lui, Jeffrey Tompson est un Renaud au timbre séduisant, au chant divinement orné. On remarque également le baryton Benoît Capt dont le timbre aux couleurs sombres et la souplesse vocale conviennent parfaitement à l’une des divinités infernales.
Après l’entracte, c’est un Grétry burlesque que nous retrouvons.
Une fois de plus, il sidère par sa verve et sa fraicheur. Comment ne pas penser à un Così fantaisiste en entendant ce Panurge où les jeux de séduction sont là pour divertir et pétillent comme du champagne ? Outre un Aimery Lefèvre totalement survolté, c’est le soprano Julie Fuchs qui éblouit par sa virtuosité, sa fine musicalité, son timbre d’une cristalline pureté et son charme malicieux.
De cette soirée le reste de la distribution est tout aussi séduisant, offrant d’ailleurs aux parties de chœurs une splendide homogénéité. Le soprano Katia Velletaz possède à la fois une présence scénique et un timbre d’une belle sensibilité. Dans Grétry qui lui offre un air, la piquante Jennifer Borghi (mezzo-soprano) dispose d’une belle agilité vocale, tandis que le ténor Mathias Vidal et le baryton Benoît Capt sont remarquables et rivalisent de drôlerie et de séduction.
Les couleurs du Concert Spirituel sont somptueuses et rendent à la musique de Sacchini et Grétry une étonnante fraicheur. Si les fins de phrase de ces derniers sont certes un peu trop « téléphonées », on trouve chez l’un comme chez l’autre des instants d’une beauté réjouissante, pleine d’énergie et de joie de vivre, avec des affinités mozartiennes pour le moins surprenantes. La direction d’Hervé Niquet est pleine de vitalité et de mordant. Ce soir l’Opéra Royal retrouvait cette musique étourdissante d’un monde suranné qui y vécut ces derniers beaux jours avec exaltation.
MP