Chroniques

par bertrand bolognesi

Graziella Contratto et l’Orchestre des Pays de Savoie

Académie Festival des Arcs / Chapiteau, Arc 1800
- 20 juillet 2004

Après une journée de cours de divers instruments, de répétitions de pièces de musique de chambre et de rencontres avec quelques uns des artistes présents aux Arcs, nous assistions, sous le chapiteau monté en 1984, à un concert de l’Orchestre des Pays de Savoie, qui se produit ici depuis huit étés.

Avant de s’atteler à un programme copieusement consacré à la musique de Beethoven, Graziella Contratto, l’actuelle cheffe de cette formation (elle succède à Patrice Fontanarosa, Tibor Varga et Mark Foster) dirige Pastorale d’été qu’Arthur Honegger écrivit pour orchestre de chambre en 1920. Il ne sera pas superflu de rappeler que l’un des crédosdu compositeur suisse était de créer une musique accessible à l’homme de la rue : voilà qui semble particulièrement approprié au public très mêlé des Arcs. Débutant dans une infinie tendresse, la lecture de ce soir rend un parfait hommage au souci tout classique de clarté de cette écriture héritière de Bach et de Mozart via Max Reger et Vincent d’Indy. Si le cor solo n’est pas toujours exact, on remarque la qualité de jeu du hautbois et du premier violon, et l’on apprécie la fiabilité exemplaire du pupitre de violoncelles sur lequel s’appuie beaucoup cette page. Tout en douceur, osant des pianississimi troublants, Pastorale d’été bénéficie d’un fin travail de nuances et d’un dosage minutieusement soigné.

L’une des vertus de l’Académie Festival des Arcs est d’offrir une audience à de jeunes musiciens, ce qu’une programmation saisonnière permet moins facilement. Ainsi le Concerto en ré mineur Op.61 de Beethoven est-il ici confié à deux violonistes d’un peu plus de vingt ans : son premier mouvement à Stéphanie Moraly, à Arielle Gill les deux autres. Dès les premières mesures de l’Allegro ma non troppo, l’orchestre offre une saine clarté d’articulation, parfois un rien scolaire, mais avec le bon goût de ne jamais forcer le trait, affirmant par sa dynamique une option joliment haydnienne. Stéphanie Moraly possède indéniablement un beau son et impose une certaine présence à son instrument-personnage. Toutefois, le phrasé reste nerveux et, du coup, relativement raide. La cadence respire mal, s’asphyxiant elle-même. C’est dommage, car l’on goûte par ailleurs l’art de la nuance de la jeune femme qui réalise des suraigus d’une rare délicatesse dans une appréciable régularité. Gageons qu’une gestion différente du trac saura faire éclore la plénitude de son jeu. Arielle Gill avance une sonorité moins directement charmante dont la subtilité ne livre pas simplement les arcanes. Elle construit son interprétation pas à pas, à partir d’un phrasé aérien dans le Larghetto, dans une couleur étonnement âpre qui s’affirme plus encore dans le rondo final. Le public réserve un accueil chaleureux au charisme de la soliste qui défend un son fort personnalisé, passant avec une indulgence bonhomme sur de fréquents soucis de justesse, notamment lors des traits de doubles-cordes.

Enfin, la Symphonie en si bémol majeur Op.60 n°4 du « grand sourd » accompagne la tombée de la nuit sur les crêtes. Dans le premier mouvement, Graziella Contratto prend le temps de poser les bases d’un climat discrètement inquiet (Adagio), judicieusement Sturm und Drang, avant de se lancer dans le thème principal avec une santé mordante (Allegro vivace). Contrastée et dynamique, sa conduite décevra peut-être les inconditionnels d’un Beethoven plus lourdement allemand ; il conviendra de se souvenir des Weill, Immerseel et Hogwood qui surent, ces dernières années, proposer des versions moins « romantico-vibrantes », débarrassant l’œuvre d’un compositeur classique de toute hystérie, même estimée « traditionnelle ».

La présente lecture n’est toutefois pas égale, ses choix ne sont pas tenus d’un bout à l’autre, le discours parfois se perd et le raffinement constaté dans la pièce de Honegger n’est plus au rendez-vous. Plus gênant, le troisième mouvement n’est pas en place. L’Allegro ma non troppo joint quant à lui, la cohésion du début. Dans l’ensemble, l’exécution laisse un curieux parfum d’inachèvement, plutôt frustrant. S’il ne semble pas, de prime abord, que la cheffe jouisse d’une relation artistiquement satisfaisante avec les instrumentistes des l’Orchestre des Pays de Savoie, certains d’entre eux pourraient avantageusement s’interroger sur le bien-fondé d’un refus de confiance en l’autre lorsqu’on n’est pas soi-même systématiquement à jour avec sa propre discipline (les cuivres ont encore de sérieux progrès à faire, par exemple).

BB