Chroniques

par vincent guillemin

Guennadi Rojdestvenski et Viktoria Postnikova
Chostakovitch, Glazounov et Liadov par l’Orchestre de Paris

Salle Pleyel, Paris
- 16 octobre 2014
portrait d'Alexandre Glazounov (Глазунов) par Ilia Répine (Ре́пин), 1887
© dr | glazounov par ilia répine, 1887

Trois semaines après le passionnant concert tchèque dirigé par Tomáš Netopil [lire notre chronique du 25 septembre 2014], l’Orchestre de Paris récidive avec un programme russe plutôt original, placé sous la baguette de Guennadi Rojdestvenski. D’abord un rare poème symphonique de Liadov (d’environ dix minutes), puis un concerto de Glazounov, enfin la dernière symphonie de Chostakovitch.

Créé en 1913, Fragment de l’Apocalypse Op.66 d’Anatoli Liadov, imaginé à partir des versets de Saint Jean, est basé sur une alternance de montées et descentes des flux orchestraux, dans la continuité du compositeur et professeur Nikolaï Rimski-Korsakov quant à l’approche de l’orchestration et à l’utilisation de thèmes populaires russes, bien qu’avec une personnalité stylistique propre. Préparé par le maître moscovite, l’Orchestre de Paris montre sa capacité d’adaptation en proposant des sonorités slaves. Les cuivres sont plus acides qu’à l’accoutumé et les archets appuient plus la corde, créant un son rauque typique des formations de l’Est, tandis que les bois s’adaptent eux aussi à une couleur plus sombre, à commencer par l’excellent premier basson (au solo impeccable).

Le Concerto pour piano en fa mineur Op.92 n°1 d’Alexandre Glazounov déconcerte de prime abord. Il semble lourd et sans intérêt musical particulier, tant les thèmes sont parfois mal agencés et simplistes les arrangements. Mais c’est oublier la période de composition (de 1904 à 1912) de cette œuvre qui, à deux reprises, laisse entendre des sonorités proches du Rachmaninov des années trente. Avec brio Viktoria Postnikova fait ressortir toutes les facettes techniques de l’école russe grâce à un doigté percussif et une émotivité effective mais non effusive. Pour l’accompagner, le chef favorise un tempo allègre dans le premier mouvement et ralentit le second, variations sur un thème de caractère folklorique. L’orchestre se plie au propos de la meilleure des manières en livrant de superbes passages où se démarque l’excellent premier violoncelle Éric Picard, notamment dans le duo piano-violoncelle où il surpasse nombre de solistes. En bis, Tabatière à musique Op.32 de Liadov est bienvenue et s’intègre parfaitement dans le cadre de la soirée.

La Symphonie en la mineur Op.141 n°15 (1972) de Dmitri Chostakovitch, certainement la plus complexe de toutes, débute dans ces mêmes couleurs mais avec un son qui sied à son temps. Créé par le fils de Chostakovitch trois ans avant sa mort, elle maintient les tons sombres des œuvres antérieures en s’échappant encore plus vers des sphères pensives et morbides. Peut-être l’Allegretto est-il joué trop lentement pour concentrer une partie d’un public assez bruyant, alors que l’Adagio trouve plus de légitimité dans cette option où l’on apprécie une nouvelle fois les qualités de l’orchestre : des cuivres précis, des premiers violons et violoncelles fort impliqués, portés par les soli de Roland Daugareil. Seules les contrebasses font émettre quelques réserves en ce qu’elles suivent la consigne de gravité plus par contrainte que par véritable engagement,limitant par-là le caractère de déploration recherché par Rojdestvenski. Le Scherzo suit la même ligne musicale que les deux premiers mouvements et trouve une vraie limite dans le fait d’être aussi lent et aussi mat, cette partie de l’œuvre servant habituellement d’exutoire ; le chef semble y chercher une autre voie, au risque de créer quelques longueurs.

Au finale, la quinzième symphonie s’achève de la plus belle des manières. Les cordes citant Wagner (Götterdämmerung, Tristan) ne relâchent la tension qu’à la dernière note, lorsque percussions et célesta ont terminé leur échange destructeur. Cette lecture sans concession nous rappelle que Guennadi Rojdestvenski a connu Chostakovitch et confronté ses idées aux siennes – espérons pouvoir en profiter encore longtemps !

VG