Chroniques

par laurent bergnach

Guillaume Bourgogne dirige Court-circuit
Pesson – Schubert – Singier – Verunelli

YouTube / Conservatoire de Courbevoie
- 21 novembre 2020
Bourgogne et Court-circuit jouent Pesson, Schubert, Singier et Verunelli
© dr

Ce 17 novembre, l’ensemble Court-circuit avait prévu d’accueillir les mélomanes à l’Auditorium Landowski du Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris. Le retour au confinement de la population française n’a pas permis ces retrouvailles avec la musique vivante, mais sans faire baisser les bras à la formation bientôt trentenaire. Elle nous invite donc à un concert virtuel sur sa chaîne YouTube : enregistrées le 16 novembre, les quatre pièces au programme furent diffusées l’une après l’autre, entre le mercredi 18 et le samedi 21, et il suffisait d’attendre ce jour-là pour retrouver l’impression d’un concert dans les règles, dirigé de main de maître par Guillaume Bourgogne.

« Dans Cassation, un équipement pour la nudité – un nécessaire à sérénade – équivaut à l’attirail pour s’adapter à la pénombre », écrit joliment Gérard Pesson (né en 1958). Le terme qui sert de titre à son quintette pour clarinette, piano et trio de cordes (Strasbourg, 2003) fut utilisé jusqu’au XVIIIe siècle dans le sens vague de divertimento, avec moult connotations, selon qu’on lui donne une racine allemande ou italienne (moment d’adieu, promenade nocturne, etc.). Par la diversité des jeux imposés à chaque musicien, le compositeur parvient à donner l’illusion du nombre, ce qui est déjà un tour de force. L’interprète doit faire preuve de vivacité, d’une remarquable présence aux choses, surtout dans une première moitié assez rythmique : le pianiste Jean-Marie Cottet, par exemple, approche les cordes avec ses doigts ou une brosse, fait claquer le cylindre ou une pédale, le clarinettiste Pierre Dutrieu livre un souffle blanc, tapote l’embouchure ou gratte le clétage, etc.

Donné en création mondiale par Alexandra Greffin-Klein et Ève Payeur, Of bows and sticks est un ensemble de six duos pour violon et vibraphone (et quelques accessoires), avec un court prélude. Jean-Marc Singier (né en 1954) les a voulus tous différents, si bien qu’il privilégie les nuances et les modes de jeu contrastés afin « d’agir sur la nature et la couleur du discours ». Ici, la virtualité des instruments l’intéresse moins que de proposer des moments d’une douce exaltation, parfois lunaires. La tension n’est jamais crispante, même si l’inquiétude grandit à mesure que l’on explore de nouveaux territoires timbriques.

Avec son titre sensitif (cinéma à huile), Cinemaolio (Paris, 2015) fait référence aux premières projections comme attraction de foire, lesquelles mirent au rebut les automates et leurs machineries fumeuses. « Ce qui deviendra par la suite une illusion plus ou moins parfaite accueillait à ses origines le spectateur à l’intérieur même du mécanisme qui produisait l’illusion (la baraque foraine comme chambre des merveilles ou théâtre d’illusions) », précise Francesca Verunelli (née en 1979) [lire nos chroniques du 23 octobre 2010, du 20 juin 2015 et du 21 octobre 2017]. Nous avons là de petites mécaniques qui se succèdent, parfois cahotantes ou grinçantes, avec quelques notes de piano seul comme interlude. C’est souvent expressif, mais en vingt minutes la pièce s’épuise, par manque de corps.

Un pied dans la musique de chambre et l’autre dans un club hardcore, Alexander Schubert (né lui aussi en 1979) donne la clé pour comprendre son œuvre écrite en 2011 : « Sugar, maths and whips, inspiré par le proverbe allemand Zuckerbrot und Peitsch (carotte et bâton), se situe dans un monde de contrastes entre statisme et complexité, distorsion et euphonie […] ». Ce quatuor qui offre à Didier Meu (contrebasse) et Benoît Poly (batterie) de rejoindre des violoniste et pianiste fort sollicités par ce concert, avec Christophe Mazzella à l’électronique, semble une musique de paroxysme qui ressurgit par îlots une fois passé le coma médian. Une fois encore, l’art de ce Schubert-là nous échappe… [lire notre chronique du 15 septembre 2017].

LB