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Chroniques
Guillaume Tell
opéra de Gioachino Rossini
Le dimanche donne son souffle particulier au retour à l’art lyrique, signé, après une longue absence rue Saint-Saëns, par Guillaume Tell, en français, le dernier opéra du prolifique Rossini ayant été achevé à Paris en 1829, avant un long repos musical écoulé entre France et Italie (retrait des salles égrené de quelques compositions pour l’église et pour les amis). C’est donc le chant du Cygne de Pesaro au genre qui, de manière épisodique, retentit à la scène de cette gigantesque ode à la liberté qu’est Wilhelm Tell (1804), la tragédie de Schiller [lire nos chroniques des productions de David Pountney, Graham Vick et Damiano Michieletto].
Ici, le long poème épique, aboutissement de la balade lyrique rossinienne, garde la cote d’amour grâce à l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, installé sur le parterre afin d’en espacer les musiciens qui jouent non masqués. Avec sagesse dans la fameuse Ouverture, puis autant de délicatesse que d’énergie dans les contrastes du drame, la phalange phocéenne dirigée par l’excellent Michele Spotti en est de toutes les métamorphoses [lire nos chroniques de Don Pasquale, Il matrimonio segreto et Le bourgeois gentilhomme]. Fin collaborateur, le Chœur maison se montre d’entrée divin, dans l’Hommage au créateur de l’univers du premier tableau, puis répond de vigueur et de lyrisme à chacune de ses intervention – ou presque : sans doute à cause du respect de la distanciation sanitaire, il semble privé d’évoluer sur scène et, de ce fait, gêné, quoique rarement, dans son chant.
Parmi le plateau vocal, viril comme il se doit pour camper surtout des combattants légendaires de l’indépendance helvète, c’est pourtant l’étoile du soprano Angélique Boudeville qui brille au plus haut, en Mathilde. La douceur et l’ivresse du vibrato marquent d’abord les esprits, puis sa virtuosité dans la romance Sombre forêt remporte une première ovation massive. Couleurs, chaleur, charme... toute une panoplie de moyens vocaux pour défendre largement ce rôle princier. Seconde touche de fémininité, le mezzo Annunziata Vestri donne à Hedwige, l’épouse de Guillaume, un jeu d’actrice chaleureux et expressif, ainsi que de séduisants élans chantés, sans négliger le côté pathétique du personnage évoquant Pénélope [lire nos chroniques de Tancredi et d’Il barbiere di Siviglia]. De même, en héros homérique, Tell s’avance dans ses aventures moins spectaculaires que véridiques, selon la géniale conception rossinienne. En réussite tout du long, le baryton Alexandre Duhamel soigne au mieux les parts d’ombre et de noblesse du personnage.
Plus impressionnant encore est le succès manifeste du ténor Enea Scala face au rude défi de tenir jusque dans ses extrêmes la partie d’Arnold, le conjuré tourmenté. Le sans faute, dopé par une facilité d’expansion et une puissance remarquables, est très apprécié par un public toujours amateur de cette tessiture où se mêlent fougue et classe [lire nos chroniques de La vera costanza, Mosè in Egitto, Caterina Cornaro, La Juive, Maria Stuarda, Armida, Viva la mamma, Le duc d’Albe et Semiramide]. Aussi le ténor Camille Tresmontant offre-t-il un bon Rodolphe, capitaine sec et autoritaire [lire nos chroniques de Don Carlo, Die Zauberflöte, Semiramide, Le devin du village, Don Giovanni, Don Quichotte et La Cenerentola], alors que dans une moindre mesure, à la petite apparition du Pêcheur, limité à un seul air, on savoure la suavité d’émission de Carlos Natale, troisième ténor du jour.
En toute fraîcheur dans le jeu de la rébellion contenue chez l’enfant Jemmy (fils de Guillaume), le soprano Jennifer Courcier offre de clairs éclats, à la fois émouvante et bravaches dans l’air Ah, que ton âme se rassure [lire nos chroniques de Pelléas et Mélisande et de Der Zwerg]. À l’opposé, deux solides basses jouent de force et de profondeur. À commencer par Thomas Dear, impérial en Meltchal, le vieux chef de clan [lire nos chroniques de L’amour des trois oranges, Salome, Richard III, Arabella, Le prophète, Les Troyens et Amelia goes to the ball]. Brillant dans les ensembles, Patrick Bolleire soigne le classique Quand l’Helvétie est un champ de supplices. Face à l’ennemi, le savoureux baryton-basse Cyril Rovery se dresse en menaçant Gessler, tandis que le baryton Jean-Marie Delpas, incisif également, offre une plaisante projection au berger Leuthold.
Mais en limitant l’action à un environnement de blocs de bois amovibles, à des habits fades et contemporains, à un décor qui abuse d’éclairages à motifs ou à filtre – Patrick Méeüs signe des lumières généreuses, belles et justes, cela dit –, la mise en scène de Louis Désiré n’illustre guère le propos héroïque [lire nos chroniques de ses Tosca, Carmen, Traviata et Lohengrin]. Certes, les diverses ambiances (bucolique, nocturne, crépusculaire, etc.) sont rendues sensibles par la musique, mais la poésie de l’opéra ressort toute, et sous un nouveau jour. Outre les défauts généraux susmentionnés, il reste des idées innovantes pour représenter le drame, telles l’expressionnisme visuel à l’Ouverture, les fissures photographiques et les taches lumineuses, géométriques, pour le soleil. Finalement, la splendeur des Alpes est même montrée a contrario... Aussi peu entraînante soit-elle, avec des divertissements dansés qui ne le sont quasiment pas, cette proposition se saisit d’une œuvre qui lui prête ses qualités de puissance imaginative aux yeux de spectateurs sceptiques.
FC